Demain, tous super-performants ? Ces trois fantasmes autour de l’intelligence artificielle


“Moins de travail, plus de temps libre”

Sur le papier, la promesse est alléchante : être assisté dans ses tâches professionnelles par un programme générant les résultats espérés à sa place, rendant donc le travail plus facile et surtout, plus rapide. Cet espoir est pourtant fondé : grâce à l’aide de l’intelligence artificielle générative, des consultants sont par exemple allés 25 % plus vite dans leurs missions, a calculé la Harvard Business School au cours d’une expérience menée l’an passé aux Etats-Unis. D’après une autre étude, réalisée par le think tank Autonomy et fondée sur les gains de productivité possiblement apportés par l’IA générative à l’échelle du Royaume-Uni, quelque 8,8 millions de travailleurs britanniques, soit 28 % de la main-d’œuvre, pourraient ainsi passer à la semaine de 32 heures réparties sur quatre jours.

Pas certain, toutefois, qu’une réduction du temps de travail soit dans les plans des entreprises boostées à l’IA. “Est-ce qu’on ne va pas vouloir allouer ce temps au développement d’une autre activité de travail ?”, interroge ainsi Julien Malaurent, professeur à l’Essec Business School, expert en systèmes d’information. Ce qui semble déjà se confirmer sur le terrain, selon Emilie Sidiqian, patronne de Salesforce France : “Dans le service client, où l’IA se déploie déjà rapidement, le temps économisé est utilisé pour de nouveaux services envers les clients et réhumaniser les relations.” Après tout, dans ses recherches sur l’essor des appareils électroménagers au XXe siècle, l’économiste américaine Juliet Schor n’avait-elle pas conclu qu’on ne passe pas moins de temps à nettoyer depuis qu’ils sont entrés dans nos vies ? Nos attentes en termes de propreté auraient juste évolué en conséquence… Et pour l’open space du XXIe siècle ? Emilie Sidiqian croit davantage à un “rééquilibrage”. “La semaine de cinq jours persistera, mais avec plus de moments calmes pour développer sa curiosité, de l’innovation…” Un autre type de temps pour soi. Mais toujours au bureau.

“Les cadres seront les seuls concernés”

C’est une certitude : l’intelligence artificielle générative va transformer la vie des cadres. L’IA, celle née avec ChatGPT en novembre 2022, peut produire des textes simples, des communiqués de presse, du code informatique, des images. Elle est aussi capable d’écrire des mails, de prendre des notes, de résumer des documents plus ou moins techniques. Une des croyances assez répandue consiste à penser que les cols blancs seront les seuls touchés. En réalité, les deux tiers des emplois vont être impactés d’une façon ou d’une autre par l’IA générative aux Etats-Unis, selon le cabinet de conseil EY. Environ 40 % dans le monde entier, indique pour sa part le FMI. Les professions dites intellectuelles seront également concernées. “Au minimum, l’intelligence artificielle facilitera le travail des chercheurs. Si des outils d’IA appuient progressivement l’humain pour identifier de nouvelles hypothèses, créer des protocoles et réaliser des expériences, alors la production d’idées pertinentes augmentera”, souligne de manière positive le rapport de la commission française sur l’intelligence artificielle, rendu le 13 mars.

Qu’en sera-t-il pour les professions créatives, dans le design, le graphisme ou l’écriture ? Ces nouvelles machines sont déjà de féroces concurrentes pour leurs emplois. “La baisse de revenus se profile, particulièrement pour les revenus complémentaires, ce qui pose la question des débuts de carrière dans la création”, s’alarme ici le comité français dédié à l’IA. Et pour les cols bleus, les métiers ouvriers et les artisans, les plus manuels en somme ? Les progrès de la robotique, où s’intègre de plus en plus l’IA générative, laissent à penser que de nombreux outils utilisés dans l’industrie vont aussi en bénéficier dans un avenir proche. Sans qu’il ne soit, pour tous les métiers, une simple question de compétences ou même d’âge.C’est l’un de ses avantages : sa simplicité d’usage, via le langage naturel, rend sa diffusion aisée, à travers des applications quasi enfantines à l’instar de ChatGPT. Rien d’insurmontable donc pour les seniors, par exemple, souvent présentés comme moins agiles avec les nouvelles technologies.

“On va tous devenir super-performants”

“L’IA génératrice donne aux gens des superpuissances”, estime le cabinet McKinsey. Il est vrai que jusqu’ici, de nombreuses expériences ont permis de constater que la technologie dopait considérablement – de 25 à 35 % – la productivité de certains travailleurs. D’après les chiffres collectés par le comité français sur l’IA, 72 % des employeurs utilisant l’intelligence artificielle notent un impact positif chez leurs salariés, en particulier sur la réduction des tâches fastidieuses et le risque d’erreurs. Attention, toutefois, à ne pas trop s’emballer. L’étude menée auprès de consultants par la Harvard Business School a montré que les effets de l’IA générative n’étaient pas les mêmes selon le niveau de compétence. Les moins “bons” en profiteraient finalement davantage que ceux qui sont déjà performants dans leurs métiers. Puis, l’IA risque de déplacer les attentes au sein des entreprises. Depuis de nombreuses années, les recherches sur l’automatisation finissent toutes, en effet, par les mêmes conclusions. “Plus que jamais, les humains vont devoir se révéler par leurs qualités comportementales : l’empathie, l’écoute, la capacité à nouer des relations”, avance Julien Malaurent. “La dimension innovante, source d’amélioration, les machines ne vont pas l’avoir. La découverte relève de l’esprit humain “transgressif”, complète la sociologue du travail Danièle Linhart.

Un peu d’humilité ne fait pas de mal non plus. “La quête de la superperformance a souvent des effets délétères et passe par des injonctions :“Soyez excellents, dépassez-vous, sortez de votre zone de confort”… Pourquoi ne pas vouloir vivre plus sereinement ?”




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