Ce que dit la science sur le télétravail : nombre de jours, productivité, bien-être…


Eté 2020. Le Covid a immobilisé le monde entier, et le télétravail s’est largement invité dans les entreprises. Pendant cette période, près de la moitié des actifs de l’Union européenne y avaient recours : 34 % travaillaient exclusivement à domicile, 14 % alternaient avec des journées en présentiel. Depuis, cette configuration hybride s’est généralisée, concernant 18 % des salariés européens au printemps 2022, selon Eurofound. “Nombre d’études et de sondages montrent que la plupart des personnes ne sont pas prêtes à renoncer au télétravail : c’est sans doute parce que, selon elles, le ratio coût-bénéfice est en faveur de ce nouveau fonctionnement”, éclaire Emilie Vayre, professeure en psychologie du travail à l’université Lumière-Lyon II. Il faut dire que les avantages seraient nombreux : productivité augmentée, stress amoindri ou encore meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Pourtant, “aucun consensus n’existe en la matière”, et “les recherches menées sur le sujet indiquent tout et son contraire”, rappelle Marc-Eric Bobillier-Chaumon, professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail au Cnam.

Sur la productivité d’abord, les effets du télétravail semblent contrastés. En 2015, des chercheurs de Stanford ont mené une étude de neuf mois auprès de 16 000 employés d’un centre d’appels d’une entreprise chinoise, pour mesurer leur performance. Résultat : chez ceux travaillant à domicile, le nombre d’appels par minute a augmenté de 13 %, en raison d’un environnement de travail jugé “plus calme”, où la concentration était facilitée. A l’inverse, une étude réalisée pendant le Covid sur 10 000 professionnels d’une société de services informatiques a conclu à une baisse de la productivité liée au télétravail de 8 à 19 %, du fait de difficultés de coordination et d’un nombre plus important de réunions. “Avant la pandémie, le télétravail était un temps ’préservé’, cette journée de la semaine avec moins d’échanges et des tâches spécifiquement adaptées, commente Laurent Taskin, professeur de gestion à la Louvain School of Management. Mais la pratique s’est aujourd’hui généralisée, avec deux jours par semaine en moyenne, et le salarié a une plus grande liberté individuelle dans l’organisation de ’son’ télétravail. Finalement, ces journées sont devenues identiques à celles passées au bureau, avec leur lot d’interruptions, de réunions et d’appels, ce qui altère le gain éventuel de productivité”, soutient le chercheur.

De son côté, Emilie Vayre pointe les limites de ces études, “pour lesquelles les mesures de la productivité ne sont pas identiques”. “Dans certains secteurs, ce qui est produit n’est pas aisément quantifiable, et la quantité ne dit surtout rien de la qualité du service fourni”, observe-t-elle. Autres éléments à prendre en compte, la fréquence et la durée des journées de télétravail. En 2020, une étude japonaise a montré que lorsque la journée de travail à domicile était trop longue, la productivité chutait. Un an plus tard, trois chercheurs ont aussi souligné qu’au-delà de deux journées de télétravail par semaine les performances des salariés diminuaient, en raison d’une réduction des échanges entre collègues, propices à la diffusion de connaissances. “La coprésence reste essentielle pour toutes les activités qui relèvent d’une recherche de créativité, de collaboration, de même que pour la formation, le management des nouvelles recrues et l’intégration à un collectif. Il y a un équilibre à trouver sur le type d’activités et le nombre de jours pouvant être télétravaillés, qui dépend largement du contexte et des objectifs à atteindre”, développe Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, chercheuse au CNRS.

Les effets du “métatravail”

Sur le bien-être, le constat est aussi nuancé. Dans une enquête publiée en 2023 par le Forum mondial de l’OCDE sur la productivité portant sur des employés de 25 pays, 74 % d’entre eux disent avoir vécu une expérience de télétravail globalement positive durant la pandémie de Covid, “les gains en coût et en temps réalisés sur les déplacements domicile-travail [étant] perçus comme l’avantage crucial” par la majorité des personnes interrogées. Dans une revue de la littérature réalisée la même année, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) appuie : “Certaines études pointent un niveau de satisfaction élevé chez les télétravailleurs […] qui relèverait d’une amélioration globale de la qualité de vie due à une réduction du temps passé dans les trajets” et à “une amélioration de la qualité des relations familiales et sociales, grâce, notamment, à une meilleure conciliation vie privée-vie professionnelle”. Toutefois, à l’appui d’autres études, le rapport souligne plus loin que le télétravail peut également “brouiller les frontières entre ces deux sphères de vie”, des salariés déclarant subir “une plus forte pression voire un envahissement lorsqu’ils travaillent depuis leur domicile”.

Cette pression, Marc-Eric Bobillier-Chaumon l’a aussi remarquée lors d’une étude menée pour une grande multinationale. “Chez certains salariés, le télétravail pouvait générer des formes de stress associées à une plus forte intensité du travail et à des risques psychosociaux, tels qu’un temps de trajet ’gagné mais basculé en temps de travail supplémentaire, une invisibilité du travail réel et un isolement vis-à-vis du collectif”, liste le professeur. Selon lui, une autre notion est capitale : celle de “métatravail”, entendue comme l’effort déployé par le salarié pour “mettre en visibilité” son propre travail. “Cette tâche se fait instinctivement au bureau, par une conscience mutualisée de ce que font les autres : on entend un appel, on voit un dossier traité par un collègue. En revanche, à distance et au domicile, le télétravailleur n’a plus rien de cela. Il doit alors expliciter, verbaliser tout ce qu’il fait, ce qui peut accroître la charge psychique de ses tâches”, explicite Marc-Eric Bobillier-Chaumon.

Et la chercheuse Aurélie Leclercq-Vandelannoitte de conclure : “Si le télétravail n’est pas pensé de manière équilibrée ni intégré dans un réel projet d’organisation, la dynamique collective risque d’être brisée, et le sens du travail aussi.”




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