MBTI, Disc, ennéagramme : la grande arnaque des tests de personnalité en management


A quoi sert le management ?”, interrogeait la Une de L’Express le 10 novembre 1969, alors que “le mot et la chose arrivés d’Amérique après la guerre” en étaient à leurs balbutiements dans les entreprises françaises. Cinquante-cinq ans plus tard, le management, son enseignement et sa pratique sont partout. Dans les open spaces, le sport, l’administration, les écoles de commerce, les librairies et parfois même dans des endroits où on ne l’attend pas, comme ces formations qui proposent “le travail à pied avec un cheval pour renforcer la cohésion d’équipe et la prise de décision rapide”. Coaching à gogo, outils gadgets prisés des RH, livres de développement personnel… Jamais les cadres n’ont été autant inondés de discours et pseudo-techniques censés leur faciliter la tâche.

Comme toutes les sciences humaines et sociales, le management ne se prête pas forcément aux sciences dures. Mais les recherches, nombreuses, publiées depuis un demi-siècle – et trop souvent ignorées des entreprises – nous éclairent sur les méthodes qui ont fait leurs preuves ou pas. L’Express en passe quelques-unes en revue. Dans ce deuxième épisode, place aux tests de personnalité.

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Etes-vous un bleu (conforme) ou un jaune (influent) ? Un ISTJ (introversion, sensation, pensée, jugement) ou un ENFP (extraversion, intuition, sentiment, perception) ? L’auteur de ces lignes (un rouge) peut en témoigner : rien de tel qu’un test de personnalité pour mettre de l’ambiance dans des formations en management souvent très ronronnantes. L’objectif : mieux se connaître soi-même, mais aussi mieux appréhender les relations avec ses collègues. Le hic, c’est que ce qui fait le succès de ces tests – ranger les personnes dans des cases – représente justement leur principale faiblesse méthodologique.

“La personnalité ne peut se mesurer par des cases”

Créé dans les années 1960 sur la base des “types psychologiques” de Carl Jung, le Myers Briggs Type Indicator, ou MBTI, distingue par exemple 16 profils, à partir de quatre axes (extraversion/introversion, sensation/intuition, pensée/sentiment, jugement/perception). “Déjà, la théorie sous-jacente, celle de Jung, est ancienne et ne prend pas en considération les connaissances plus récentes”, note Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives au CNRS et à l’ENS. Ensuite, d’un test à l’autre, vous avez 50 % de chances de changer de catégorie. Plus simpliste, le test Disc, créé en 1928, range, lui, les personnalités en quatre couleurs : rouge (dominant), jaune (influent), vert (stable) et bleu (conforme ou consciencieux). Ouvertement ésotérique et popularisé par l’occultiste Georges Gurdjieff au début du XXe siècle, l’ennéagramme met en avant neuf personnalités sur des critères farfelus (le romantique, le battant, l’épicurien…). La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) le place d’ailleurs dans sa liste de pratiques à risque.

“Toutes ces approches qui essaient de ranger les gens dans des cases donnent des résultats non fiables, car la personnalité ne peut se mesurer par des cases, mais par des dimensions continues”, tranche Franck Ramus. Les psychologues scientifiques prônent le modèle bien plus récent des Big Five, qui vise à décrire cinq dimensions de la personnalité (ouverture, conscienciosité, extraversion, agréabilité, névrosisme). Les Big Five ne classent pas les personnes dans des catégories, mais les placent sur un axe continu, avec un score permettant de se situer par rapport au reste de la population. Par exemple, sur l’axe du névrosisme, les personnes très anxieuses et instables émotionnellement se retrouveront à une extrémité, celles que rien n’ébranle à l’autre. “Mais en général, la distribution est gaussienne. Ce qui veut dire que la plupart des gens se situent au milieu d’une dimension, et qu’ils ont donc une personnalité moyenne. Or, les tests qui essaient de ranger dans des catégories coupent justement au milieu. Beaucoup de personnes peuvent ainsi passer d’un côté ou de l’autre selon le moment”, note Franck Ramus.

Le chercheur voit deux utilisations possibles des Big Five en entreprise. Pour le recrutement, le test de personnalité peut compléter les CV, entretiens ou tests de compétence. “En général, on a surtout envie de recruter des collaborateurs compétents, même si on peut comprendre qu’on veuille éviter les psychopathes [rires]. Après, les psychopathes sont assez bons pour se dissimuler et éviter les questions gênantes.” Le Big Five peut aussi servir pour le management et les relations interpersonnelles. “Mais les entreprises préfèrent les tests qui mettent les gens dans des cases, car ça conduit à des recettes faciles : si vous êtes tel type de personnalité et que vous avez affaire à un autre type, il faut agir de telle manière… “, soupire Franck Ramus. Les couleurs et les sigles à quatre lettres ont donc encore de beaux jours devant eux.




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