Face à Xi Jinping, Macron reproduit-il la même erreur qu’avec Poutine ?


Invité l’an dernier par Xi Jinping à prendre le thé à Canton dans la résidence où vécut le père du président chinois lorsqu’il était gouverneur de la province du Guangdong, Emmanuel Macron a voulu, lui aussi, convier son homologue dans un cadre personnel. Après des échanges protocolaires à l’Elysée lundi 6 mai, les deux dirigeants poursuivront leurs discussions le lendemain dans les Hautes-Pyrénées, pour un déjeuner au col du Tourmalet, étape mythique du Tour de France, près d’un village dont était originaire la grand-mère maternelle bien-aimée du président français.

En créant une atmosphère plus intime, ce dernier espère faire passer plus facilement des messages au leader de la deuxième puissance économique mondiale. Mais le défi s’annonce aussi épuisant que l’ascension du Tourmalet. Bien décidé à aborder la question de la guerre en Ukraine, sa priorité absolue à l’international, Emmanuel Macron souhaite – à nouveau – inciter son homologue à faire pression sur Vladimir Poutine pour qu’il mette fin au conflit.

C’était déjà son ambition en avril 2023, lors de son dernier déplacement à Pékin : le président français avait alors martelé que la Chine pouvait “jouer un rôle majeur” pour “trouver un chemin de paix” en Ukraine. Un vœu pieux : Xi Jinping revenait tout juste d’une visite à Moscou, où il avait mis en scène sa proximité avec l’agresseur de l’Ukraine. “En ce moment même, il y a des changements comme nul n’en a vu depuis cent ans, et c’est nous qui les pilotons ensemble”, avait-il déclaré en sortant d’un dîner avec son hôte sur la Place rouge. Difficile de faire plus clair. Cette fois encore, la rencontre franco-chinoise ne sera qu’une parenthèse. Après sa visite à Paris, Xi Jinping se rendra en Serbie et en Hongrie, deux pays connus pour leurs positions prorusses. Puis, après son voyage européen, le dirigeant chinois le plus autoritaire depuis Mao Tsé-toung accueillera ce mois-ci le chef du Kremlin à Pékin.

La Chine a nettement choisi son camp

Emmanuel Macron semble reproduire la même erreur qu’avec Vladimir Poutine par le passé, en misant excessivement sur sa capacité à influencer un autocrate grâce à son pouvoir de conviction personnel. Même si l’on ne peut pas reprocher au président français de mettre sur la table les divergences de vues entre Paris et Pékin, n’est-il pas illusoire d’attendre de ces discussions en altitude une quelconque inflexion de la part de Xi Jinping ? Car si la Chine prétend avoir une position “neutre” dans ce conflit, elle a en réalité nettement choisit son camp. “Il est naïf de penser que Pékin veuille faire pression sur Moscou, ce n’est pas dans son intérêt, affirme Chen Daoyin, ancien professeur à l’université de sciences politiques et de droit de Shanghai. Aux yeux de Xi Jinping, la guerre en Ukraine affaiblira les forces occidentales et fera pencher la balance stratégique en faveur de “l’Est”, ce qui favorisera l’essor de la Chine sur la scène internationale.” Bref, résume cet analyste politique indépendant, le n° 1 chinois “souhaite que Poutine gagne la guerre en Ukraine”. Et une défaite de son “ami” serait une catastrophe.

Obsédée par sa rivalité avec l’Amérique, la Chine considère en effet qu’elle a besoin de son voisin russe, doté de l’arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, pour bousculer l’ordre international dominé par l’Amérique et ses alliés occidentaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et protéger son régime. “La Chine et la Russie ont fondamentalement les mêmes objectifs stratégiques et la même vision du monde : Pékin considère comme Moscou que la guerre en Ukraine a été provoquée par les Occidentaux – en raison notamment de l’expansion de l’Otan – pour affaiblir la Russie”, souligne Zhao Tong, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace. Et d’ajouter : “La crainte commune d’une confrontation avec les Etats-Unis et ses alliés occidentaux est le principal moteur du renforcement de sa coopération avec la Russie.”

Paris sous-estime le lien entre Pékin et Moscou

Emmanuel Macron compte convaincre Xi Jinping que la guerre en Ukraine constitue une menace existentielle pour l’Europe et que celle-ci n’abandonnera pas son soutien à Kiev. La Russie ne pouvant que sortir affaiblie d’un conflit long, il serait donc dans l’intérêt de Pékin de faire entendre raison à son partenaire. “En réalité, Xi Jinping a très bien calculé ses intérêts, et s’il doit aider quelqu’un, ce ne sera pas l’Union européenne ni les membres de l’Otan, commente Marc Julienne, directeur du centre Asie de l’Ifri. Plus de deux ans après le début du conflit, il apparaît de plus en plus clairement que la Chine n’a aucune intention de sacrifier son partenariat avec la Russie.” Un partenariat à ses yeux beaucoup plus important que ses relations diplomatiques avec la France, dont les deux pays fêtent cette année le 60e anniversaire.

“Paris a tendance à sous-estimer l’ampleur de la relation entre la Chine et Russie, renchérit Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie et de la Chine à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne. La guerre en Ukraine a été un test : Pékin n’a pas lâché Moscou, au contraire, la coopération ne cesse de se renforcer, même si ça lui coûte en termes d’image auprès de l’Union européenne, de sanctions…”

Amorcée après la chute de l’Union soviétique, leur coopération s’est accélérée après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, jusqu’à la proclamation de leur “amitié sans limite” pendant les Jeux olympiques d’hiver de Pékin de 2022, quelques semaines avant que les troupes russes n’envahissent l’Ukraine. Loin de prendre ses distances avec son belliqueux voisin, Pékin, qui n’a jamais condamné l’invasion russe, lui apporte un précieux soutien diplomatique et économique, l’empêchant de devenir un paria sur la scène internationale et alimentant de facto son effort de guerre.

Exportations vers la Russie de composants à double usage

“La Russie aurait du mal à poursuivre son assaut contre l’Ukraine sans le soutien de la Chine”, a récemment cinglé Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, à l’issue d’un voyage en Chine. De fait, le commerce bilatéral entre les deux pays a bondi de 26 % l’an dernier, pour atteindre 240 milliards de dollars. La Chine a notamment considérablement augmenté ses importations d’hydrocarbures – profitant de prix en baisse – renflouant ainsi les caisses du Kremlin. Elle a aussi accéléré ses exportations vers son voisin, permettant à la population russe de bénéficier de biens de consommation courante à bas coût. Mais les liens se consolident aussi sur les plans technologique et militaire – les deux pays mènent régulièrement des manœuvres en commun.

Certes, la Chine ne semble pas avoir livré d’armes létales à son voisin, ce qui l’exposerait à des sanctions et unifierait les pays occidentaux contre elle. Mais elle est accusée par les Etats-Unis de fournir de plus en plus de composants à “double usage”, à la fois civil et militaire, comme des machines-outils, de la microélectronique, des technologies pour la fabrication de drones et de la nitrocellulose entrant dans la composition de la poudre à canon. De son côté, l’UE hausse aussi le ton : elle a sanctionné en début d’année quatre entreprises chinoises au motif qu’elles soutenaient indirectement la guerre d’agression contre l’Ukraine, en exportant des composants électroniques destinés au complexe militaro-industriel russe.

Jusqu’où ira le soutien de Pékin à Moscou ? Une déroute russe est impensable pour le géant communiste : elle mettrait en péril le régime de Poutine, avec le risque d’une situation chaotique à la frontière chinoise ou de l’avènement d’un dirigeant pro-occidental. Selon plusieurs spécialistes, le président chinois a plutôt intérêt à ce que les hostilités continuent, malgré leurs répercussions économiques négatives. Ce conflit, comme celui à Gaza, mobilise en effet l’attention des Etats-Unis et de ses alliés – par conséquent moins focalisés sur l’empire du Milieu. “La Chine ne semble pas vouloir agir pour mettre un terme rapide au conflit en Ukraine : elle espère une érosion du soutien occidental, et une Russie qui sortirait renforcée de la guerre. Pékin continuera à soutenir la Russie sur les plans économique, diplomatique et technologique, en considérant que c’est sur la durée que la victoire se jouera”, estime Alice Ekman.

“Longue période de confrontation simultanée”

Inutile, dans ces conditions, de miser sur d’éventuelles dissensions entre les deux géants asiatiques, attisées par la dépendance croissante de Moscou à l’égard de Pékin, avertit Alexander Gabuev, l’un des meilleurs connaisseurs mondiaux des relations entre les deux pays, dans un article publié le mois dernier dans la revue Foreign Affairs. “Au contraire, l’Occident doit se préparer à une longue période de confrontation simultanée avec deux immenses puissances dotées de l’arme nucléaire”, pronostique le chercheur.

Dans ce contexte, à quoi sert cette visite pour Xi Jinping ? “La Chine nous perçoit comme une puissance occidentale ; et de ce fait, parmi les pays qui ne sont pas des partenaires prioritaires ni de confiance. Nous sommes surtout utiles ponctuellement pour, espère Pékin, entretenir les divergences au sein de l’Union européenne ou avec les Etats-Unis”, constate la sinologue Alice Ekman. La Chine interprète en effet le discours du président français sur “l’autonomie stratégique” de l’Europe comme une volonté de se distancier de son principal rival, l’Amérique.

Face à cette situation, Emmanuel Macron a convié ce lundi Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, pour donner aux discussions avec Xi Jinping une dimension européenne, comme il l’avait fait lors de son déplacement en Chine, l’an dernier. Le président français s’est par ailleurs coordonné avec le chancelier allemand Olaf Scholz, lors d’un dîner à Paris jeudi soir.

Mais le clan européen reste divisé face à Pékin. “Si l’UE agissait collectivement, elle pourrait faire pression sur la Chine, mais les deux principaux pays, l’Allemagne et la France, ont chacun leurs propres intérêts nationaux en tête et sont incapables de former un front uni”, observe le politologue chinois Chen Daoyin. Olaf Scholz, dont l’industrie automobile est très dépendante du marché chinois, s’est montré lors de sa visite récente à Pékin réticent à adopter un ton trop ferme, de peur sans doute de subir des représailles.

Les divergences sur la stratégie à l’égard de la Chine ne se limitent pas au couple franco-allemand. Et Pékin l’a bien compris. “En se rendant en Hongrie et en Serbie, le dirigeant chinois cherche à exploiter les divisions internes croissantes au sein de l’Europe et à renforcer l’influence des pays européens qui ne partagent pas entièrement les valeurs occidentales. Sa visite en Serbie, pour le 25e anniversaire du bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade par l’Otan, témoigne également de sa ferme volonté de contrer l’influence américaine et d’accentuer les divisions au sein du camp occidental”, pointe le chercheur chinois Zhao Tong.

Emmanuel Macron a d’autant moins de leviers que l’Europe est dans l’injonction contradictoire avec la Chine. Le géant communiste a certes besoin d’écouler ses surcapacités de production en Europe, à l’heure où sa croissance se grippe et où le marché américain se ferme de plus en plus. Mais il sera difficile d’obtenir son aide sur l’Ukraine tout en lui imposant des sanctions ou en lançant une enquête sur les subventions étatiques accordées aux véhicules électriques chinois exportés vers l’UE.

Que peut obtenir le chef de l’Etat français ? Un résultat tangible serait de convaincre la Chine de participer au “sommet pour la paix” organisé par la Suisse à la mi-juin, destiné à trouver une solution à la guerre en Ukraine. Pour l’heure, la Chine refuse d’y participer si les Russes ne sont pas présents…




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