“Au travail, ils contestent tout” : la génération Z mérite-t-elle vraiment sa mauvaise réputation ?


Critiquer les plus jeunes de l’open space, c’est parfois prendre le risque de passer pour le boomer de service. Demandez à Jodie Foster. Dans un récent entretien au Guardian, l’actrice et réalisatrice américaine a jugé la nouvelle génération “vraiment agaçante, surtout sur le lieu de travail”, déclenchant un tollé sur les réseaux sociaux. L’épisode reflète ce fossé qui semble se creuser au travail entre la fameuse “génération Z”, née après 1997, et les managers. Du moins dans les discours. “Par rapport à mon époque, il y a une porosité totale entre vie professionnelle et vie privée. Ils n’hésitent pas à nous faire part de leurs obligations familiales, notamment religieuses, ce qui est très nouveau”, témoigne Charlotte, 44 ans, avocate dans un grand cabinet parisien, qui ne manque pas d’exemples. Comme sur le télétravail : “Ils considèrent cela comme un droit. Sans imaginer un seul instant qu’on pourrait refuser.”

Serions-nous passés d’une génération désenchantée à une génération décomplexée ? Comme Charlotte, “93 % des managers (de tous âges) estiment en effet que les jeunes ont un rapport au travail différent de celui de leurs aînés”, indique une enquête de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) et du think tank Terra Nova de 2024.La même étude balaie pourtant certaines idées reçues. Ainsi, les moins de 30 ans “accordent autant d’importance au travail que leurs aînés (47 % le jugent plus ou aussi important que les autres pans de la vie, vs 47 % des 30 à 44 ans et 36 % des 45 ans et plus)”.

Comment expliquer ce qui ressemble à un grand malentendu ? Adrien Ledoux, CEO de la plateforme de recrutement JobTeaser, avance une première hypothèse : “Si la GénZ est très attachée au travail, elle l’est bien moins à l’entreprise.” Une jeunesse qui, biberonnée aux réseaux sociaux, serait habituée à une communication très rapide, avec ce besoin d’avoir l’information très vite. “Que ce soit avec Google, Siri ou Alexa, ils ont toujours obtenu des réponses à la moindre de leur question. Alors qu’au travail ils naviguent dans des situations où les informations sur la raison d’être de certaines décisions manquent de transparence”, analyse dans le Washington Post Megan Gerhardt, professeure de management à l’université de Miami.

Najwa El Marbouh, directrice FSI audit et assurance chez Deloitte, le constate sur le terrain : “Les plus jeunes questionnent beaucoup l’intérêt de ce qu’on fait, l’utilité et le degré d’urgence.” Non sans difficultés. “Ça demande beaucoup d’énergie, et, quant aux délais par rapport aux clients, cela peut poser problème, parce qu’ils n’ont pas la vue d’ensemble. On a parfois envie de leur répondre : ‘Ne pose pas autant de questions !'”, lâche-t-elle dans un éclat de rire. Une exigence d’épanouissement qui, selon elle, se vérifie dès les entretiens de recrutement : “Généralement, leur première question porte sur les horaires de travail, puis ils enchaînent sur le fait de savoir s’ils pourront changer de mission dans les six mois dans l’hypothèse où ils seraient mécontents sur leur poste.”

“Il y a très peu de différences entre les générations”

La lecture du rapport de l’Apec et Terra Nova invite cependant à prendre avec beaucoup de pincettes le concept même de générations comme explication de ces tensions professionnelles. “Leurs ‘exigences’ sur le marché du travail ne sont donc pas toujours le fait de leur jeunesse ou de supposées particularités morales, culturelles ou générationnelles […] mais aussi, plus simplement, le résultat d’une conjoncture plus favorable”, cite le document rappelant qu’en dix ans le taux de chômage des 15-24 ans est passé de 29 % à 16 % chez les hommes et de 24 % à 18 % chez les femmes.

Le chercheur Jean Pralong tempère lui aussi fortement ces discours générationnels. “Très souvent, les conflits de personne sont des conflits de statut”, explique ce professeur en gestion des ressources humaines au sein de l’EM Normandie, qui insiste sur un point : “Une génération, ce sont des gens qui n’ont que l’âge en commun.” Emeric Kubiak, directeur scientifique chez AssessFirst, va dans le même sens : “La recherche montre qu’il y a très peu de différences entre les générations. Que ce soit sur les attitudes professionnelles, les personnalités, les mobilités…, toutes les études indiquent qu’il s’agit plus d’un mythe que d’une réalité.” Ainsi l’enquête de l’Apec et Terra Nova pointe cette “limite récurrente des enquêtes sur les jeunes et le travail” qui consiste à “proposer une image homogène de la jeunesse alors qu’elle est elle-même hétérogène […]. Les inégalités liées à la catégorie socioprofessionnelle ou au niveau de diplômes entre les jeunes actifs sont souvent plus fortes que les écarts constatés entre groupes d’âge”.

S’il ne nie pas la réalité des situations décrites par les managers, Emeric Kubiak y voit une autre raison : ces derniers sont en difficulté tout court pour manager. “La plainte des managers n’est-elle pas au fond celle de cadres qui se retrouvent aujourd’hui à devoir faire appliquer des consignes dont le sens est compliqué à expliquer ?” interroge Jean Pralong. Emeric Kubiak estime pour sa part que le besoin “n’est pas de manager les générations, mais de manager les perceptions autour de ces générations”, en se recentrant sur l’individu et en cherchant à comprendre ses motivations principales. Un management davantage personnalisé, en somme. Attention, prévient-il toutefois, la responsabilité n’est pas à mettre sur le dos des managers, mais plutôt sur tout l’écosystème qui les amène là. “Au lieu de proposer des formations de management de deux ou trois jours, les entreprises feraient mieux d’outiller de manière consistante les managers. Cela implique aussi de mieux les identifier et mieux les recruter. Or le problème aujourd’hui, c’est que le management n’est plus qu’une sorte de promotion”, conclut-il.




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