Grippe aviaire : comment l’épidémie est en train de nous échapper


C’est l’histoire d’un virus que l’on connaît bien, identifié pour la première fois dans le sud de la Chine en 1996 qui, vingt-huit ans plus tard, fait de nouveau parler de lui. La grippe A (H5N1), plus connue sous le nom de “grippe aviaire” ou “influenza aviaire”, a depuis conquis la planète et inquiète aujourd’hui les scientifiques pour son potentiel pandémique. Depuis 2020, le nombre de foyers chez les oiseaux a explosé et de plus en plus d’espèces de mammifères sont touchées (morses, ours polaires, phoques, otaries…). Le mois dernier, les vaches et les chèvres ont rejoint la liste. C’est finalement aux Etats-Unis que la situation s’emballe ces dernières semaines. Pour la première fois, une épidémie de grippe A touche les bovidés dans neuf Etats américains. Au Texas, un éleveur a même été contaminé début avril après avoir été en contact direct avec une vache infectée. Dernier élément en date : des traces de H5N1 ont été détectées dans du lait pasteurisé vendu aux Etats-Unis, faisant de ce pays l’épicentre d’une épidémie aviaire devenue animale. Tous ces éléments ont conduit l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) à faire part le 18 avril dernier de son “énorme inquiétude” face à une propagation croissante de cette souche de la grippe aviaire à de nouvelles espèces, y compris les humains. Comment en est-on arrivé là ?

De nouveaux éléments sur les origines de l’évolution de l’épidémie ont été relayés en début de semaine par la revue Nature. Selon une analyse préliminaire des données génomiques menée par le département américain de l’Agriculture (USDA), cette nouvelle souche hautement pathogène de la grippe A (H5N1) se propage silencieusement dans les élevages américains “depuis plusieurs mois”. Cette publication intervient dans un climat de défiance des scientifiques, qui critiquent ces derniers jours le manque de transparence des autorités américaines. L’épidémie aurait, en réalité, probablement débuté lorsque le virus est passé d’un oiseau sauvage infecté à une vache, probablement vers fin décembre ou début janvier. Or, les scientifiques, à l’instar de Malik Peiris, virologue et professeur à l’université de Hongkong, craignaient justement une circulation “à bas bruit” dans plusieurs régions du monde, qui pourrait lui permettre d’évoluer. Car cette épidémie de grippe aviaire ne ressemble pas à ce qu’on connaissait jusqu’ici : “Une nouvelle souche s’est en réalité mélangée avec des virus locaux aux Etats-Unis et présente la particularité de se multiplier extrêmement bien dans la mamelle des vaches”, précise Malik Peiris. C’est notamment ce qui explique les nombreux foyers dans les élevages bovins, ce qui a surpris au départ les experts car, chez ces espèces, les récepteurs du virus dans les tissus respiratoires supérieurs ne sont pas optimaux pour H5N1. “En revanche, nous ne savons pas encore précisément comment ce pathogène se transmet entre les bovins”, poursuit le virologue.

Les scientifiques craignent désormais que H5N1 se transmette plus facilement à l’homme, voire, scénario noir, qu’il acquière la capacité de se transmettre d’humain à humain. “Il existe une forte inquiétude quant à sa propagation chez les travailleurs laitiers étant donné le niveau élevé de virus présent dans le lait des vaches infectées, assure Seema Lakdawala, virologue à l’université Emory, en Géorgie. Si une personne devait être éclaboussée dans le nez ou dans les yeux et être infectée, cela donnerait au virus de nouvelles opportunités de s’adapter et de se transmettre entre humains.”

Le scénario noir

Toutefois, si les vaches peuvent produire de nombreux virus et sont régulièrement en contact avec les hommes, il faudrait un mauvais coup du sort pour voir une telle hypothèse se produire. “Les scientifiques s’inquiètent d’une possible adaptation de H5N1 qui lui permettrait de se propager efficacement entre les mammifères, notamment par voie respiratoire, mais cela nécessiterait une profonde modification dans la manière dont il utilise l’acide sialique [NDLR : qui permet aux virus de type influenza de pénétrer dans les cellules humaines, à l’instar de la protéine Spike pour le Sars-CoV-2] pour se lier aux récepteurs humains, couplée à une adaptation de certaines protéines nécessaires à un tel dessein. Pour l’heure, aucune preuve d’une telle évolution n’a été détectée”, tempère Daniel Goldhill, virologue évolutionniste au Royal Veterinary College de Hatfield, au Royaume-Uni.

Toutefois, dans son analyse génomique publiée cette semaine, l’USDA a révélé que le virus était en réalité “multi-hôte”. On a en effet constaté une transmission d’oiseau à vache, de vache à vache, de vache à oiseau, mais aussi de vache à chat ou de vache à humain. Tout cela suggère que H5N1 pourrait avoir trouvé d’autres voies de transmission que celles imaginées jusque-là par les spécialistes. Mais aussi qu’il a beaucoup évolué ces derniers mois. Parmi ces mutations figurent des modifications d’une section virale-protéique que les scientifiques ont associées à une éventuelle adaptation à la propagation chez les mammifères. De quoi, là encore, inquiéter. D’autant qu’un mystère demeure. Si le cas du Texan infecté début avril semble bénin – il n’a souffert que d’une conjonctivite -, son génome viral n’inclut pas certaines des mutations signatures observées chez les bovins. “C’est une énigme pour tout le monde”, déclare David Goldhill. L’une des hypothèses est que cette personne ait été infectée par une lignée virale distincte, qui aurait contaminé du bétail non écouvillonné. Un autre scénario, moins probable mais qui ne peut être exclu, est que cet éleveur ait été infecté directement par un oiseau sauvage.

L’énigme de l’hôte humain

En l’état actuel des connaissances, les experts ne se montrent cependant pas trop alarmistes. H5N1 continue de se propager chez les mammifères, certes. On risque de voir l’apparition de cas sporadiques, aussi bien chez l’animal que chez l’homme, certes. En revanche, nous ne sommes pas en train d’observer une modification majeure du virus qui conduirait à un risque de pandémie plus élevé qu’il y a deux ou trois mois, affirment les scientifiques. De plus, bien que la souche H5N1 ait tué des millions de volailles au cours de la vague actuelle, les vaches touchées ne sont pas tombées gravement malades à ce stade. Par ailleurs, les risques apparaissent inexistants en cas de consommation du lait pasteurisé : ce procédé détruit en effet le virus, même s’il ne fait pas disparaître toutes les traces de sa présence. Enfin, la souche qui circule actuellement aux Etats-Unis est, en tout état de cause, différente de celles présentes en Europe. Par ailleurs, il n’y a pas à ce jour de circulation de ce virus grippal chez les bovins français où le niveau de risque, qualifié de “modéré” depuis mi-mars, a même été abaissé à “négligeable” fin avril, après une saison où le pathogène a moins circulé et où les canards d’élevage ont été vaccinés. Cependant, la prudence est de mise. Ce mardi 30 avril, Wenqing Zhang, qui dirige le programme mondial de la grippe à l’OMS, a affirmé que, étant donné que le virus est transporté en particulier par des oiseaux migratoires, “le risque existe certainement que les vaches d’autres pays soient infectées”.

Car le scénario d’une propagation de H5N1 chez l’homme reste une perspective inquiétante. “Il s’agit d’un agent pathogène beaucoup plus virulent pour les humains que le Covid-19. Une telle pandémie pourrait faire passer le Sars-CoV-2 pour très bénin”, précise Malik Peiris. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que ce virus peut provoquer une infection chez l’homme s’il se trouve à deux endroits très précis : sur la conjonctive de l’œil – et c’est une infection bénigne – ou au niveau de l’alvéole pulmonaire, au fin fond du poumon. Dans ce deuxième cas, l’infection peut être grave. Sur quelque 900 cas humains d’infection au H5N1 recensés depuis vingt ans par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la moitié ont été mortels… “Plus cette épidémie se prolonge, plus le risque que des adaptations inattendues du virus se produisent, pour l’homme ou pour d’autres espèces, est élevé”, alerte pour sa part David Goldhill. Afin qu’un tel dérapage ne se produise, les scientifiques appellent à prendre des mesures rapides et drastiques. “Pour éviter de nombreuses infections chez les humains, pourquoi ne pas rendre obligatoire le port d’un masque pour les travailleurs laitiers, ou de contraindre le bétail à ne pas sortir de la ferme afin de réduire la propagation de l’épidémie actuelle ?, s’interroge Seema Lakdawala. Il faut aller vite dorénavant !”




Source

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .