Européennes : Jordan Bardella ou l’art d’éviter la contradiction


Pas d’humeur. Jordan Bardella est rarement d’humeur à parler à la presse, ces temps-ci. C’est dommage en pleine campagne, surtout lorsqu’on convoque la presse pour lui présenter son projet européen. Ce jeudi 25 avril, donc, Jordan Bardella est arrivé à son propre rendez-vous avec une bonne vingtaine de minutes de retard, pour dérouler les éléments qu’il dispense en long, en large et en travers dans ses interventions depuis des mois. “Nous souhaitons bâtir une Europe adaptée aux grandes nécessités de notre temps autour de trois piliers : une Europe qui protège, qui produit et qui respecte”, a-t-il commencé avant de réciter un condensé de ses dix derniers passages télévisés.

Une petite pique, tout de même, à Emmanuel Macron, qui prononçait ce jeudi matin un discours à la Sorbonne. Et cet éternel – et chimérique – appel à une dissolution de l’Assemblée nationale en cas de victoire le 9 juin. Concernant le projet frontiste, quelques morceaux choisis et déjà bien connus : “Mettre en place une Europe des nations souveraines adaptée aux réalités de notre temps”, “En finir avec l’Europe normative”, “mettre fin à la vague immigrationniste”. Vingt-cinq minutes plus tard, la tête de liste frontiste remballe ses fiches et tourne les talons en précisant : “Je vous remercie et je vous laisse entre les mains expertes de notre directeur de campagne, qui répondra à toutes vos questions.”

Voici donc Alexandre Loubet, le directeur de campagne en question, jeté sous les roues du bus. Accroché au pupitre, le député de Moselle fait mine d’ignorer l’incongruité de sa présence, balaye le sujet des alliés allemands du RN au Parlement européen (dont la tête de liste est éclaboussée par des affaires d’ingérence liées à la Chine et la Russie), qu’il qualifie de “questions politiciennes”. Il ne juge toutefois pas utile de préciser pourquoi le candidat du RN refusait de répondre aux questions concernant son programme, sa campagne, ou ses alliés au Parlement européen. En guise de justification, un audacieux parallèle avec le discours d’Emmanuel Macron qui, à la Sorbonne, ne s’est pas non plus livré au jeu de questions-réponses. Sans préciser que le chef de l’Etat n’a pas convoqué la presse à une conférence de presse.

Esquiver la contradiction

Ce n’est pas la première fois que Jordan Bardella esquive la contradiction. Depuis plusieurs mois, il a déjà refusé de participer à trois débats face à ses adversaires. Interrogé fin février sur cette stratégie de l’évitement, concernant un débat organisé par Public Sénat, il s’était laissé aller à l’ironie devant une vingtaine de journalistes : “Et pourquoi pas Coquelicot TV !” L’anecdote avait été relayée par La Tribune dimanche, et utilisée comme prétexte par les équipes de Bardella pour mettre fin aux “off”, ces temps d’échange informels entre journalistes et politiques. Justification interne : “Le off, c’est un exercice journalistique, ça ne ramène pas un électeur et ne nous apporte rien, à part des emmerdes.” “Bardella fait tout pour devenir incolore, inodore. Cela devient un vote sans aspérité, sans accroc et inquiétude. Ce qui est frustrant est de le voir fuir les occasions de débattre, il ne progresse que par le silence et l’ambiguïté”, déplore le chef de file LR François-Xavier Bellamy.

Mais qu’on se rassure, “Jordan Bardella n’a aucun problème avec la contradiction”, précise Alexandre Loubet. Après tout, à plus de 30 % des intentions de vote dans les sondages, pourquoi s’embarrasser avec des questions gênantes ? Surtout au moment où le groupe Identité et Démocratie, auquel appartient le RN, prend l’eau, alors que des alliés frontistes sont mis en cause dans des affaires d’ingérence, ou que la Lega italienne, un autre parti allié, vient d’intégrer Roberto Vannacci à sa liste, un général italien auteur d’un livre dans lequel il détaille que les homosexuels ne sont “pas normaux”, ou qu’une sportive italienne noire ne représente pas “l’italianité”. Pourquoi aborder les sujets qui fâchent ? Et les sujets techniques ? Lui dont la compétence vient à être interrogée par ses adversaires.

Au siège, on regarde donc Jordan Bardella quitter les lieux en cherchant des justifications. Même Caroline Parmentier, chargée des relations presse et manifestement pas au courant que son candidat comptait sécher la dernière partie de la conférence de presse. “L’agenda est très très chargé”, assure-t-on dans les rangs bardellistes. Jordan Bardella a tout de même réussi à se libérer un petit créneau, ce jeudi soir, pour répondre aux questions de Boulevard Voltaire (le média d’extrême droite en ligne de Gabrielle Cluzel), sans doute porté par l’appel de la contradiction.




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