“Sacrilège !” : les Archives nationales explorent les liens entre l’Etat et les religions

Le 1er juillet 1766, à Abbeville, dans la Somme, François Lefebvre, chevalier de La Barre, est décapité à l’âge de 20 ans, après avoir été condamné en appel par le Parlement de Paris. Il est accusé d’avoir profané deux crucifix et de s’être fait remarquer en parcourant le petit Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire mis à l’index par le pouvoir. Sous Louis XV, on ne plaisante pas avec les notions de blasphème et de sacrilège. Voltaire, qui se fait le défenseur posthume de Lefebvre, mourra avant de voir la première retirée de la liste des crimes dans le Code pénal de 1791. Le chevalier de La Barre sera le dernier mis à mort par la justice royale pour ce double chef d’accusation.

Aux Archives nationales, à Paris, l’arrêt de sa condamnation figure parmi la centaine d’œuvres et de documents inédits réunis sous l’intitulé Sacrilège ! qui interrogent, jusqu’au 1er juillet, les liens tissés au fil des siècles entre l’Etat, les religions et le sacré. “Une façon de rendre au sacrilège – ici, dans sa forme générique – sa dimension politique”, souligne Jacques de Saint Victor, co-commissaire de l’exposition et auteur de Blasphème. Brève histoire d’un “crime imaginaire” (Gallimard).

De l’hérésie (opinion jugée erronée et obstination à la défendre) au sacrilège (atteinte aux édifices et objet du culte), en passant par la lèse-majesté (blesser la grandeur divine ou royale) et le blasphème (paroles ou actes offensant Dieu), la frontière est parfois mince. Du procès de Socrate, en 399 avant J.-C., pour “corruption de la jeunesse”, à l’affaire du “Casse-toi, pov’ con !”, en 2008, de Nicolas Sarkozy, les régimes ont changé, des lois ont tour à tour été promulguées et abrogées ; la manière dont l’Etat a composé avec le pouvoir religieux a évolué.

Copie d’une lettre du ministre des Contributions publiques au ministre de la Justice, 17 juillet 1793.

A partir du XIIe siècle, c’est la montée en puissance puis le déclin d’une “religion royale” ébranlée par la Réforme protestante et les guerres afférentes. Avant que la Révolution, sacralisant l’Etat dans le même temps, n’éradique le fait religieux et que la République n’entretienne avec ce dernier un lien ambigu, lui cherchant longtemps un substitut, jusqu’à ce qu’il revienne en force dans notre société contemporaine avec les caricatures de Mahomet publiées en 2005, les attentats islamistes de la décennie 2010 et l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020.

L’Etat, même laïque, peut-il se passer de toute forme de sacré, alors que nos récents dirigeants, d’un Hollande “normal” au jupitérien Macron, se suivent et ne se ressemblent pas ? Edifiante illustration d’un archaïsme qui a perduré en France jusqu’en… 2013, le délit d’offense au président de la République, instauré en 1881, est contesté avant même son adoption, laissant, par sa dénomination floue, la porte ouverte à un usage disproportionné. Il fut pourtant peu utilisé, aucun chef de l’Etat n’y recourant de 1895 à 1940.

Après la parenthèse répressive du régime de Vichy, les poursuites sous ce chef d’accusation restent rarissimes, excepté sous de Gaulle, dans le contexte des attentats de l’OAS. La dernière eut lieu en 2008 à l’encontre d’un militant du Parti de Gauche qui transforma en slogan politique la réponse malencontreuse du président Sarkozy à un homme qui avait refusé de lui serrer la main au salon de l’Agriculture. Cette affaire, qui fit couler beaucoup d’encre, mena tout droit à la suppression du délit cinq ans plus tard, à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.




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