Immigration, identité, intégration : Guillaume Larrivé – Boris Vallaud, le débat qui dérange


C’est un livre qui mérite d’être lu, parce qu’il est né d’un travail sérieux et qu’il suscite un vrai débat politique. Guillaume Larrivé, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux, ex-député de l’Yonne, qui préside aujourd’hui l’institut La France demain, le think tank des Républicains, publie Immigrations (Editions de l’Observatoire). Le président du groupe socialiste à l’Assemblée Boris Vallaud l’a regardé de près, pour y trouver critiques, mais pas que. Et l’auteur prend ici la plume pour lui répondre, et entretenir ainsi une belle controverse française.

Vallaud : “L’identité française, c’est l’universalité des droits de l’homme”

La plume est alerte, le style agréable, et l’auteur ne manque pas de talent, sans pour autant convaincre de la justesse d’une démonstration dont la conclusion se devine dès l’introduction. Guillaume Larrivé nous appelle à suivre l’invite de Péguy : “Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit”, sans parvenir lui-même à voir les immigrés, continûment invisibilisés dans un ouvrage qui, bien qu’intitulé Immigrations au pluriel, ne traite en définitive celles-ci qu’au singulier. Or, en politique, le singulier est toujours suspect, et l’essentialisation ne sert pas ici la démonstration. L’auteur ne voit en définitive que ce qu’il veut voir. La statistique, qui ne parle jamais d’elle-même, tient ici lieu de rumeur et vite de vérité.

Une “vague” noierait donc notre “identité”. La métaphore souffre d’une double simplification. La “vague” relève d’une appréciation parfaitement réfutable sur le plan statistique ; quant à l’identité, sa définition étriquée ne consiste qu’à servir la thèse de l’auteur, qui cède, sans le surmonter, au dilemme appauvri intégration ou assimilation. La vénération de “nos grands hommes” comme mesure de la parfaite intégration ou le rêve d’une allégeance décrassée des origines relèvent d’une mystique qui n’a rien à voir avec l’histoire de France. L’auteur croit en définitive assez peu à l’universalisme républicain tout en demeurant étroitement enfermé dans un cadre national qui ne correspond plus ni à l’époque ni à la nature des migrations. Moi, je crois en la puissance intégratrice de cet universalisme républicain.

Quand il ne cède pas aux préjugés, l’auteur cède à la caricature et aux réécritures. De quoi l’immigration ne serait-elle pas responsable, lui qui y voit l’une des causes de “l’effondrement des services publics quotidiens, comme les transports en commun, l’hôpital ou même l’école” ? De quelle histoire se prévaut-il en affirmant qu’”il avait été facile à la France d’assimiler, au fil des ans, des familles étrangères en provenance d’autres pays européens”, oubliant combien la violence, le racisme, la stigmatisation ont émaillé les siècles, ignorant les Vêpres marseillaises contre les Italiens ? Ignorant surtout, manquant à la vérité, les belles histoires de ces Français venus d’outre-Méditerranée et qui ont rejoint le meilleur de la France. L’usage du mot obus “immigrationniste” suffit à faire réquisitoire contre ces hommes et ces femmes qui portent secours à d’autres. Transformer l’humanité en trahison ne grandit aucune cause, et il est regrettable que l’auteur cède à cette facilité. Le propos fait songer à la maxime de Rousseau : “La domination même est servile quand elle tient à l’opinion ; car tu dépends des préjugés de ceux que tu gouvernes par les préjugés.”

Je rejoins cependant Guillaume Larrivé pour constater un défaut de “gouvernement” de notre politique migratoire. Sa chronique des dernières décennies en la matière est instruite et instructive. Je le rejoins pour constater que ce sujet taraude les Français et qu’il mérite la première des attentions. Mais la restauration de l’autorité de l’Etat et la remise en bon ordre du grand bazar de la politique migratoire ne passeront pas par une série de réformes constitutionnelles qui seront autant de proclamations qui se traduiront, in fine, par un harcèlement administratif et une traque policière sans effets réels autres que l’épuisement de tous, étrangers, policiers, tribunaux, administrations, Françaises et Français. L’immigration est un défi qui convoque une politique d’inclusion ambitieuse reposant sur l’apprentissage de la langue et des valeurs de la République, sur la régularisation par le travail mais aussi sur une politique de “peuplement” consubstantielle de l’idéal de mixité sociale. Les fausses évidences ne peuvent accoucher que de fausses solutions.

Je récuse en définitive la thèse centrale de cet essai, qui oppose les droits du citoyen aux droits de l’homme. Dire qu’”il ne pourrait plus y avoir de garantie de nos libertés […] si une conception extensive des droits de l’homme l’emportait sur les droits des citoyens, au point que la communauté des citoyens, c’est-à-dire la France, devait s’effacer devant les droits des étrangers” relève d’un funeste sophisme. L’identité française, c’est l’universalité des droits de l’homme, donc du citoyen, indissociablement.

Larrivé : “L’immigration n’est plus une chance pour la France”

Mea maxima culpa. Je l’avoue humblement : être de gauche, à la manière de Boris Vallaud, est au-dessus de mes capacités. Non pas que je n’aie jamais songé à me parer, à mon tour, d’une avantageuse barbe jaurésienne. Mais ce doit être fatigant de prétendre promener avec soi, en tout lieu, le Beau, le Bien et la Vertu réunis sous l’oriflamme fané du Parti socialiste. On se rêve en héros de l’humanité, mais c’est plutôt aux kantiens, tels que Péguy les démasquait, que l’on finit par ressembler : ces gens-là ont “les mains propres, mais ils n’ont pas de mains”.

Car enfin, le credo universaliste de l’ami Boris serait absolument magnifique s’il n’était pas démenti par un léger détail : le réel. Je conseille à chacun de s’y cogner, d’une manière fort simple : prendre le métro, à l’heure bleue, en direction de la porte de la Chapelle. Cette expérience aisément accessible est assez éloignée des merveilles diversitaires et inclusives rêvassées par les supplétifs du camarade Mélenchon.

Si j’ai écrit ce quatrième livre, c’est en refusant de céder à ces deux passions jumelles que sont l’immigrationnisme et l’identitarisme. Je combats d’abord la première, qui imagine faussement qu’une France ouverte à tous les vents sera bientôt le paradis de l’altérité construite. Mais je ne veux pas céder à la seconde, qui redoute terriblement que notre pays disparaisse dans l’apocalypse de l’identité détruite. C’est en patriote volontariste, et non en nationaliste dépressif, que je ne m’excuse pas d’être Français, Européen et Occidental. Mieux : je revendique le droit de vouloir le rester, car j’aime la France comme un trésor à préserver. Et je ne suis en rien défaitiste : l’histoire de France n’est pas finie, car l’engagement politique a cette puissance, celle de la liberté qui offre l’espérance.

Mais avant de pouvoir, encore faut-il voir, savoir, et vouloir. Voir, d’abord, que les immigrations n’ont pas été gouvernées depuis un demi-siècle : mon livre démontre cette faillite collective et je remercie Boris Vallaud de m’en donner élégamment acte. Savoir, ensuite, combien l’immigration telle qu’elle s’est accélérée depuis le début du millénaire n’est plus une chance pour la France. Elle a importé dans notre pays d’immenses tensions – économiques, sociales, territoriales, sécuritaires, mais aussi et surtout culturelles, dont l’islam politique est le pire des périls. Je le prouve, au-delà des intuitions, par l’analyse des faits. Vouloir, enfin : c’est désormais le plus difficile, compte tenu de la crise du pouvoir politique, c’est-à-dire de l’incapacité à délibérer rationnellement et à décider vraiment.

Ce livre ne sera pas inutile, je l’espère, s’il contribue à proposer au peuple français un chemin d’action réfléchi et réaliste. Dans l’opposition depuis douze ans désormais, la droite républicaine doit se préparer à gouverner, aussi sérieusement que possible. Avec d’autres, en réserve de la République, j’essaie de m’y employer. Parce qu’elle dessine le visage qu’aura la France des décennies à venir, la nouvelle politique de l’immigration sera au cœur de notre projet. Pour que cette politique de cooptation et d’assimilation puisse advenir, nous proposons de définir un nouveau cadre constitutionnel, mais aussi et surtout de conduire d’immenses efforts opérationnels – au plan national d’abord, ainsi que dans le cadre d’une coopération active avec les autres nations européennes.

Le moment viendra vite où sonnera l’heure de la décision. A nous de construire, dès maintenant, les conditions d’une nouvelle offre politique. Elle suppose une volonté sincère de rassemblement, pour additionner les millions de nos compatriotes qui veulent que la France reste la France, fidèle à son art de vivre civilisé, à son goût de la liberté et à sa vocation de puissance. Elle nécessite, tout autant, une aptitude au commandement, qui puisse restaurer une direction saine de l’État, combinant un président stratège et un gouvernement solide, capables d’exercer le pouvoir sans faire semblant. Notre génération saura-t-elle déjouer les scénarios annoncés ? Nos années vingt, nos années trente seront ce que nous en ferons.




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