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Décarbonation : le label de référence des entreprises dans la tourmente


Voilà une boussole qui risque de perdre le nord. La semaine dernière, le conseil d’administration du SBTi (Science based targets initiative), un comité de certification fondé par différentes organisations comme le WWF, le Pacte mondial de l’ONU ou le World Resources Institute, a provoqué un coup de tonnerre. Cet organisme reconnu, qui valide la pertinence et la crédibilité des stratégies de décarbonation des entreprises, a annoncé son intention d’intégrer le recours aux crédits carbone dans les réductions d’émissions de CO2 visées.

Un dévoiement, selon de nombreux experts du climat. Car depuis 2015, ce comité s’est imposé comme le label de référence. Aujourd’hui plus de 4 000 sociétés ont fait approuver leur stratégie, parmi lesquelles un certain nombre de géants français comme EDF, Publicis, Accor, ou Saint-Gobain. Un moyen aussi pour ces compagnies de donner des gages de bonne foi auprès des investisseurs et du grand public sur leurs engagements climatiques.

Risque de greenwashing

Jusqu’à présent, SBTi affirmait que les entreprises ne pouvaient pas utiliser des crédits carbone pour compenser leurs émissions de “scope 3”, celles provenant de leurs chaînes d’approvisionnement et de l’utilisation de leurs produits par leurs clients. Ce changement de méthode permettrait donc aux sociétés dont le bilan comprend encore une partie importante d’émissions résiduelles, de les annuler par le financement de projets de reboisement ou de captage de CO2.

C’est cette pratique controversée qui a suscité un tumulte chez les experts du climat, et jusqu’aux employés de l’organisme, qui accusent le conseil d’administration d’avoir pris cette décision sans consultation. “C’est extrêmement problématique d’un point de vue scientifique compte tenu de l’ampleur de la littérature académique démontrant le manque de robustesse du marché de la compensation volontaire”, expliquait sur LinkedIn un spécialiste du sujet, César Dugast du cabinet Carbone 4. Les crédits carbone sont décriés car ils permettent de compenser des émissions, sans forcément chercher à les réduire. Réputés invérifiables et soumis au risque de double comptage, ces crédits – qui aliment un marché volontaire – sont également pointés du doigt pour leur manque de fiabilité scientifique.

Beaucoup craignent donc de voir la réputation de l’organisation entachée de greenwashing. “Nous sommes très surpris de cette décision qui est contraire à leur propre doctrine”, s’étonne Fabrice Bonnifet, le président du Collège des directeurs du développement durable, qui compte 350 membres, parmi les plus grandes entreprises françaises. Il dénonce ainsi ce qu’il considère être un “coup de force” du principal soutien de l’organisation, le Bezos Earth Fund, le fonds philanthropique du patron d’Amazon. Selon le Financial Times, celui-ci aurait coordonné une réunion avec le conseil d’administration du SBTi, au cours de laquelle l’utilisation de la compensation aurait été discutée.

Aucun changement… avant juillet ?

Ce revirement témoigne donc aussi d’une forme de crispation de la part des acteurs économiques les plus en retard sur leurs promesses de transition. “Certaines entreprises américaines se rendent compte qu’elles n’ont pas des trajectoires suffisamment crédibles pour tenir leurs engagements dans les temps, alors elles cherchent à changer les règles du jeu”, déplore Fabrice Bonnifet. Un point de vue partagé par César Dugast pour qui le SBTi a “visiblement cédé devant la pression d’entreprises qui ont bien compris qu’une réduction de 90 % de leurs émissions d’ici à 2050 ne pouvait avoir lieu sans une transformation radicale de leurs modèles d’affaires – chose qu’elles n’ont pas du tout envie de faire”.

Véritable scandale, ou tempête dans un verre d’eau ? Quelques jours après ces annonces, le SBTi publiait un communiqué en ligne, affirmant qu’”aucun changement” n’avait été apporté aux normes actuelles de l’organisation. Selon le Financial Times, un projet formel de règles sur la compensation carbone pourrait toutefois être mis sur la table en juillet. Au risque de voir un certain nombre d’entreprises prendre leurs distances avec un référentiel qui faisait jusqu’ici autorité.




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