Gabriel Attal à Sciences Po, son réquisitoire musclé : “Le poisson pourrit toujours par la tête”


Coup de théâtre et coup de pression, le tout en quinze minutes chrono. Il est vers 17h15, ce mardi 13 mars, dans la salle des conseils de Sciences Po, située dans l’annexe de la rue de l’Université, à Paris, lorsque Laurence Bertrand Dorléac, la présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), l’instance qui chapeaute l’école, annonce à son conseil d’administration l’arrivée imminente d’un invité imprévu. Il s’agit du Premier ministre, Gabriel Attal, accompagné de Sylvie Retailleau, la ministre de l’Enseignement supérieur. Irruption inédite, de mémoire de professeur. Jamais un membre du gouvernement n’avait assisté à une telle réunion aux enjeux essentiellement budgétaires et techniques. Personne n’a été prévenu, ni Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco, ni François Delattre, l’ambassadeur de France à Berlin, ni Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, participant au cénacle en “visio” : tous découvrent en direct la visite du locataire de Matignon.

Gabriel Attal ne vient pas pour commenter la démission de Mathias Vicherat, le directeur de l’école, survenue au début de cette journée irréelle, vers 8h30. L’ancien condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour violences conjugales réciproques avec son ex-compagne. Quoique le chef du gouvernement en dit quand même indirectement un mot : l’administrateur provisoire de l’école, appelé à gérer les affaires courantes avant l’élection d’un nouveau patron, et le prochain directeur, devront respecter une “feuille de route” précise. Celle du “respect” des “principes de la République”. A défaut, l’Etat pourrait revoir son financement, laisse entendre le Premier ministre.

Réaction à “l’amphi Gaza”

Il n’évoquera jamais la polémique dans le détail, mais le locataire de Matignon fait référence à l’occupation de l’amphithéâtre Boutmy, brièvement rebaptisé “amphi Gaza”, par des militants pro-palestiniens, mardi 12 mars. L’Union des étudiants juifs de France affirme que des étudiants perçus comme juifs ou sionistes ont été pris à partie, voire empêchés d’entrer. “Les premiers éléments dont nous disposons sont particulièrement inquiétants et préoccupants”, commente Gabriel Attal. Il annonce saisir la justice de ces faits. “Je réaffirme notre détermination à ce que des sanctions extrêmement fermes soient prises”, dit-il, selon plusieurs participants. Dans la foulée, la direction de Sciences Po a annoncé dans un communiqué avoir saisi le procureur de la République “pour des faits à caractère antisémite conformément à l’article 40 du Code de procédure pénale”, et a indiqué avoir ouvert ce mercredi matin “une enquête administrative”.

Ce n’est pas tout. La courte allocution du chef du gouvernement ressemble à une réprimande plus générale sur l’évolution de l’école. “Une expression célèbre dit que le poisson pourrit toujours par la tête. Moi, je pense que c’est ça que les Français sont en train de se dire”, expose-t-il, devant des décideurs cois, après avoir rappelé que “Sciences Po fait partie de ces écoles qui ont vocation à former une partie des cadres dirigeants de l’Etat”. Et d’évoquer encore ces “Français” qui “s’interrogent très fortement” sur “une forme de pente et de dérive, liée à une minorité agissante et dangereuse à Sciences Po”.

Place du “wokisme”

Les polémiques sont connues, entre la tentative de certains étudiants d’empêcher Alain Finkielkraut d’accéder aux locaux, l’inscription de tags antisémites sur le fronton de l’école, des chasses aux sorcières menées contre des élèves ou des enseignants… On ne sait pas exactement auxquelles le Premier ministre fait allusion, mais il apparaît clair qu’il vise la place du militantisme d’extrême gauche, parfois qualifié de “woke”. Gabriel Attal évoque deux types de “problèmes” : d’abord le fait que “quand on entend parler de Sciences Po, c’est pour des polémiques”. Ensuite, le constat que l’”on ne peut plus organiser, me dit-on, un débat démocratique à Sciences Po sans devoir prévenir la préfecture de police pour que des policiers soient présents pour assurer la sécurité”. Et ce alors que l’IEP doit rester “le lieu de la confrontation des points de vue”, plaide-t-il, rappelant au passage son “respect immense” pour une institution qui l’a “formé”, entre 2007 et 2013.

Gabriel Attal boucle son intervention musclée en mettant directement en balance une reprise en main de l’établissement et son financement public : “Les Français attendent que lorsque de l’argent public est engagé pour financer les institutions, on garantisse à 200 % que les principes républicains sont respectés en tout lieu et tout le temps dans ces institutions. Et donc, il y aura désormais un lien immédiat qui sera fait entre les deux”. Avis aux prochains candidats à la direction de l’établissement.

Dans l’immédiat, un administrateur provisoire doit être nommé pour assurer l’intérim de la direction, délestée également de son numéro deux, Sergeï Guriev, démissionnaire fin janvier. Le plus haut responsable de l’école, le secrétaire général Alban Hautier, a lui seulement… un mois d’ancienneté. Il travaillait auparavant au ministère des Finances. Plusieurs sources évoquent le profil d’un haut fonctionnaire extérieur à Sciences Po, sur le modèle du conseiller d’Etat Jean Gaeremynck, titulaire de ce poste transitoire après la mort de Richard Descoings, en 2013. La procédure de candidature pour remplacer Mathias Vicherat devrait, elle, durer plus de six mois. Soit, à Sciences Po, un intervalle suffisant pour promettre de nouveaux rebondissements.




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