Arrêts de travail : la mise en garde de médecins


Dans le cadre du Projet de Loi de Financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024, le sujet des arrêts de travail fait l’objet de toutes les attentions. Alors que ce regain d’intérêt devrait être l’occasion de mieux accompagner les salariés, il n’est encore une fois question que de contrôles et de sanctions. Nous, médecins de tous horizons qui sommes confrontés quotidiennement à cette réalité complexe dans nos cabinets, déplorons à nouveau cette tendance répressive qui relève d’une véritable méconnaissance et ne résoudra rien.

Nous recommandons plutôt de donner les moyens aux services de santé au travail de pouvoir effectuer les visites indispensables à la sécurité des travailleurs, de développer de réels dispositifs d’aide à la réinsertion professionnelle des patients en arrêt de longue durée, de faire prendre conscience aux entreprises de l’impact des conditions de travail sur la santé et les accompagner dans ce sens… Il est urgent de construire des solutions adaptées, prenant en compte la santé des travailleurs de manière globale.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 témoigne d’une volonté de réduire les dépenses en lien avec les indemnités journalières. Une supposée “explosion” de ces dépenses serait la principale menace sur la pérennité de notre modèle de protection sociale. Il faut noter que la croissance des indemnités journalières (+ 3,8 % par an en moyenne entre 2010 et 2022, à pondérer avec l’augmentation massive de 2020 liée à la crise sanitaire) est largement expliquée par des facteurs démographiques comme l’augmentation de la population active et le recul de l’âge de départ à la retraite, ainsi que par l’augmentation du montant des indemnités journalières correspondant à l’augmentation de certains salaires. L’augmentation du taux de recours aux indemnités journalières n’explique quant à lui que 14 % de cette croissance.

A propos des motifs d’arrêts, notons que 17,4 % des motifs rapportés en 2022 avaient un lien avec la santé mentale, soit une progression de 125 423 arrêts supplémentaires pour syndrome dépressif entre 2021 et 2022. Cela n’est pas surprenant dans un contexte d’augmentation de la fréquence des pathologies psychiques à la suite de la crise sanitaire (13,3 % d’épisodes dépressifs en France en 2021 contre 9,8 % en 2017). Si on peut saluer l’augmentation des recours aux temps partiels thérapeutiques depuis l’année passée, dispositif visant à faciliter la réintégration professionnelle, on constate que le système français a une politique de réintégration professionnelle beaucoup moins développée que certains voisins européens.

“Faire primer l’avis du médecin contrôleur mandaté par l’employeur nous semble préjudiciable pour le patient”

On pourrait donc imaginer que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 comporte des mesures visant à améliorer les conditions de travail et la réinsertion professionnelle. Il n’en est rien… Au contraire, le PLFSS 2024 ne propose que des mesures de lutte contre la fraude, dont la mise en œuvre sera très certainement préjudiciable tant pour les patients que pour notre système de santé. En effet, l’article 27 introduit la possibilité que les indemnités journalières soient suspendues automatiquement après décision d’un médecin contrôleur mandaté par l’employeur, si l’arrêt ne lui semble pas justifié. La mesure va jusqu’à introduire une possibilité de réclamation au patient de remboursement des indemnités journalières considérées comme indues !

Jusqu’ici, en cas d’arrêt de travail considéré comme non justifié par le médecin contrôleur, le service médical de l’Assurance Maladie devait systématiquement rendre une décision pour que les indemnités journalières soient éventuellement suspendues. Cette modification de la procédure, qui consiste à faire primer l’avis du médecin contrôleur mandaté par l’employeur sur celui du médecin prescripteur sans arbitrage de l’Assurance Maladie, nous semble préjudiciable pour le patient. Si un recours est toujours possible, celui-ci prendra forcément du temps. Durant cette période, la personne se verra privée de ressources, induisant un risque important de précarisation malgré l’incapacité de reprendre le travail. De plus, il est difficile de savoir de quelle légitimité ces médecins contrôleurs bénéficient pour outrepasser l’avis du médecin prescripteur. Comment ne pas craindre de conflits d’intérêts ainsi que le risque de privatisation de ces contrôles comme le soulignent les représentants des usagers ?

Considérer l’augmentation des dépenses d’indemnités journalières seulement par le prisme de la fraude, c’est méconnaître les problématiques liées aux conditions de travail et la pénibilité. Vouloir sanctionner par un renforcement abusif des contrôles ne solutionnera ni les problèmes liés à la dégradation des conditions de travail, ni ceux liés à l’augmentation de la moyenne d’âge des travailleurs. La DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, organisme du ministère du Travail) signalait en 2021 une diminution des visites de santé au travail : en 2019 39 % des salariés du privé signalaient une visite des services de santé au travail dans les 12 derniers mois contre 70 % en 2005. Il est urgent de donner les moyens aux services de santé au travail pour effectuer les visites médicales et les visites sur sites indispensables pour garantir la sécurité des travailleurs.

Les ravages du présentéisme

Il est également indispensable de développer de réels dispositifs d’aide à la réinsertion professionnelle pour accompagner les patients en arrêt de longue durée. Les médecins généralistes se retrouvent trop souvent seuls et démunis pour orienter les patients dans ces situations. Pour diminuer le recours aux arrêts de travail, les entreprises doivent prendre conscience de l’impact des conditions de ce travail sur la santé. Contrôles réguliers de l’état de santé physique et psychologique, mise en place et évaluations systématiques des mesures de sécurité par les acteurs de terrain, formations régulières, adaptation des méthodes de management à la prise en compte du bien-être au travail sont autant d’éléments essentiels pour garantir la santé des travailleurs.

Des études s’intéressent également à la prévalence du présentéisme et ses effets sur la santé. Il s’agit du fait de se rendre au travail en étant malade. Cela peut par exemple s’appliquer à des maladies infectieuses avec le risque de contamination des collègues, ou à des pathologies psychiques comme un syndrome anxio-dépressif débutant, pour lequel un arrêt de travail ponctuel peut faire partie de l’arsenal thérapeutique. Les causes du présentéisme sont multiples : peur de perte de rémunération, souhait de ne pas laisser ses collègues en difficulté ou d’avoir une charge de travail trop importante au retour (notamment si impossibilité d’être remplacé), peur d’être stigmatisé ou mis à l’écart. En 2019 le baromètre Malakoff Humanis évaluait à 28 % le nombre d’arrêts de travail non pris (9 points de plus qu’en 2016). Il nous semble qu’une attitude répressive est de nature à encourager ce présentéisme et donc de majorer les risques pour la santé des travailleurs.

Nous nous accordons sans difficulté sur le fait que les arrêts de travail devraient toujours être les plus courts possibles. Mais plutôt que de recourir au contrôle et à la répression, nous plaidons pour une prise en compte globale de la santé des travailleurs et travailleuses, avec une attention particulière portée sur la préservation de celle-ci, par un suivi adapté, l’amélioration des conditions de travail, l’aide à toute forme de réinsertion socio-professionnelle quand c’est nécessaire. Construisons ensemble des solutions adaptées aux réalités complexes que nous rencontrons chaque jour dans nos cabinets.

* Signataires :

Dr Sophie BAUER, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML)

Dr Raphaël DACHICOURT, président de Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants (ReAGJIR)

Dr Franck DEVULDER, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF)

Pr Paul FRAPPE, président du Collège de la Médecine Générale

Dr Agnès GIANNOTTI, présidente du syndicat MG France

Dr Patricia LEFEBURE, présidente de la Fédération des Médecins de France (FMD)

Dr Jérôme MARTY, président de l’Union Française pour une Médecine Libre (UFML)




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