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Poutine, Xi Jinping et l’arme nucléaire : “Nous sommes actuellement dans des eaux inconnues”


En 2021, encore étudiant, l’Américain Decker Eveleth avait révélé au public la construction, par la Chine, d’un champ d’une centaine de silos susceptibles d’accueillir des missiles nucléaires. Le fruit d’une enquête basée sur des images prises par un satellite civil.

Trois ans plus tard, à la faveur de recherches personnelles sur les sites de stockage d’ogives atomiques russes, ce chercheur associé de l’institut américain CNA a mis au jour, au début du mois, la construction du probable site de déploiement d’une des nouvelles armes nucléaires vantées par Vladimir Poutine, le “Burevestnik” – un missile à charge et à propulsion nucléaire dont le président russe prétend qu’il est “invincible”. Pour L’Express, il revient sur ces deux découvertes et explique comment ces nouveaux sites chinois et russes s’inscrivent dans un nouvel âge de la dissuasion, marqué par davantage d’incertitudes.

Comment avez-vous découvert le site de déploiement des Burevestnik, baptisé SSC-X-9 Skyfall par l’Otan ?

Decker Eveleth Contrairement à la découverte des champs de silos chinois, celle-ci est fortuite. A l’origine, je souhaitais me familiariser avec les sites de stockage nucléaire russes et les opérations de la 12e Gumo [NDLR : la division qui est chargée du transport, de la sécurité et du stockage des armes nucléaires russes]. En faisant le tour des installations connues, j’ai remarqué des constructions inhabituelles sur ce site. Cette recherche s’est transformée en une enquête sérieuse sur le but de celles-ci. Après en avoir discuté avec les chercheurs Jeffrey Lewis et Hans Kristensen [NDLR : deux grands spécialistes de la dissuasion], nous en avons conclu que le déploiement du Burevestnik était ce qu’il y avait de plus probable.

Pourquoi ce site est-il inhabituel ?

Pour autant que nous le sachions, c’est la première fois qu’un site de déploiement d’armes nucléaires se trouve collé à un site de stockage. Les images satellites montrent également de longs bâtiments pour placer un missile sur une plateforme mobile, laquelle va avancer vers différentes stations qui servent à vérifier que les sous-systèmes du missile fonctionnent bien. Il y a ensuite une zone comptant neuf stations de lancement pointées dans des directions différentes. Or il n’est pas nécessaire de faire cela pour des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), dont la trajectoire est corrigée après lancement. C’est plutôt ce que l’on fait pour des aéronefs comme des missiles de croisières, pour qu’ils puissent facilement ajuster leur trajectoire.

Autre chose importante : ces stations de lancements sont entourées de buttes de terre. Faire cela évite qu’une explosion dans une station ne génère une réaction en cascade dans les autres stations, car les bords en terre dirigeront l’explosion vers le haut. C’est aussi extrêmement inhabituel pour un site nucléaire. Tout cela indique qu’il s’agit d’un site conçu pour soutenir l’entretien et l’exploitation, à long terme, d’un système d’arme fixe. Et le seul qui réponde à tous ces critères est le Burevestnik.

Quelles sont les spécificités du Burevestnik ?

C’est un gros missile de croisière dont la propulsion est assurée par un moteur nucléaire. Lorsque Poutine a dévoilé ce système en 2018, il a affirmé qu’il pouvait voler presque indéfiniment et esquiver la défense aérienne des Etats-Unis et de l’Otan. Sur le papier, un Burevestnik a la portée nécessaire pour voler très bas et donc être plus difficile à détecter. Pour autant, il est probable qu’il ne sera pas capable de mener bon nombre des opérations décrites par Poutine, car des doutes existent sur son système de guidage, tel qu’il a été présenté.

@lexpress

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Cette arme change-t-elle quelque chose à la dissuasion russe ?

Je ne pense pas que cela change fondamentalement la relation de dissuasion entre, d’un côté, les Etats-Unis, l’Otan et les pays européens, et de l’autre la Russie. Car l’arsenal russe d’ICBM est déjà capable de pénétrer les systèmes de défense américains et européens. Le Burevestnik donne, en théorie, la capacité de frapper des cibles en Occident d’une manière peu visible. Lorsque Poutine a dévoilé ce système en 2018, il a en fait présenté une série d’armes nucléaire miracles, en comptant la torpille Poséidon, le planeur hypersonique Avangard et le missile hypersonique Zircon.

Ces armes font maintenant partie de l’héritage politique de Poutine, qui consiste probablement à renforcer les systèmes de dissuasion de la Russie. Par ailleurs, si les Etats-Unis étaient en mesure d’augmenter leurs intercepteurs de missiles pour vaincre les ICBM, cet autre système permettrait d’atteindre quand même un objectif. Mais il possède également des vulnérabilités et il n’y a pas de raison qu’un escadron de chasse bien placé ne soit pas capable de l’abattre.

Vous aviez déjà révélé au public l’existence d’un nouveau site nucléaire militaire, le champ de silos de Yumen, en Chine. Comment l’aviez-vous découvert ?

Cette recherche a été lancée en réponse aux rumeurs selon lesquelles il y avait beaucoup plus de sites chinois d’ICBM que ce qu’on savait en sources ouvertes. J’étais étudiant de premier cycle, et Jeffrey Lewis [NDLR : chercheur sur les questions de proliférations en Asie] m’a demandé d’enquêter sur elles. La Chine est vaste, j’ai cherché les sites les plus susceptibles d’accueillir de telles installations. J’ai été aidé par le fait qu’Hans Kristensen avait déjà identifié quelques silos en construction sur un site dévolu à l’entraînement, à Jilantai (Mongolie Intérieure). Je suis parti du principe que les champs de silos que je cherchais se trouveraient probablement sur un terrain similaire à la fois géographiquement et géologiquement à celui de Jilantai. Soit une série de sites désertiques dans le nord de la Chine. J’ai passé les images satellites de ces zones au peigne fin, jusqu’à trouver le champ de silos de Yumen.

Dans la foulée, un autre chercheur, Matt Korda, a découvert un autre champ de silos, à Hami, au Xinjiang. Quel impact ont eu vos découvertes ?

Avant, le discours général était qu’il était très peu probable que la Chine fasse à ce point grossir son arsenal. Ce que nous savions de la doctrine et de la posture nucléaires de la Chine venait de sources fiables au sein de sa communauté stratégique expliquant qu’elle allait tout miser sur un petit nombre de systèmes d’armes très résistants, avec des investissements importants dans les ICBM mobiles et les sous-marins. La révélation de l’existence de nouveaux champs comptant ensemble 320 silos a vraiment changé la donne. Ce que nous imaginions s’est révélé obsolète. La question nucléaire dominante aux Etats-Unis est à présent de savoir comment dissuader à la fois la Chine et la Russie, tout en maintenant l’arsenal nucléaire existant.

Vos découvertes du champ de Yumen, puis du site des Burevestnik, confirment que nous vivons une nouvelle ère nucléaire, différente de celle qui a prévalu après la guerre froide…

Nous sommes dans des eaux inconnues, dans lesquelles la Russie et la Chine montent en puissance au niveau nucléaire. Cela soulève plusieurs problèmes. Il a fallu quelques décennies pour parvenir à une forme de stabilité entre les superpuissances nucléaires américaines et russes, grâce à un code de conduite non écrit et des plateformes d’armes acceptées et comprises par les deux pays. Au travers de décennies de crises et de diplomaties, les Américains et les Soviétiques ont compris comment maintenir une stabilité mutuelle.

La Chine d’aujourd’hui a très peu l’expérience de ce que c’est d’être une grande puissance en matière de signalisation nucléaire. Les spécialistes chinois du nucléaire, dans leurs écrits, ont tendance à faire preuve d’insouciance face à l’hypothèse d’une escalade nucléaire. Peut-être ne comprennent-ils pas très bien les risques que pose un vaste arsenal nucléaire. Et puis nous avons la Russie, en théorie une superpuissance mature et expérimentée, qui investit dans ces nouveaux systèmes d’armes, comme le Burevestnik et le Poséidon, dont la valeur dissuasive n’est pas aussi bien comprise que celle des ICBM. Nous sommes dans cette période où nous essayons de trouver ce qu’est la stabilité. Espérons que cela se fera sans une crise nucléaire majeure.

Retrouvez notre grande série “Nucléaire, la surenchère” :

EPISODE 1 – Armes nucléaires, la surenchère : comment l’Ukraine a dû renoncer à sa bombe

EPISODE 2 – Poutine et la bombe nucléaire : le risque d’apocalypse

EPISODE 3 – La Chine et son colossal arsenal nucléaire : les dessous de la mystérieuse expansion de Pékin

EPISODE 4 – Face à la Russie et la Chine, le plan titanesque des Etats-Unis

EPISODE 5 – Armes nucléaires : l’inévitable essai atomique de la Corée du Nord

EPISODE 6 – Arme nucléaire : la France peut-elle assumer un rôle dissuasif pour toute l’Europe ?





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