Dans le sillage des campus américains, des étudiants propalestiniens se sont réunis devant Sciences Po Paris rue Saint-Guillaume ce jeudi 25 avril. Aux cris d'”Israël assassin” et de “tout le monde déteste la police”, la foule arbore des drapeaux palestiniens et appelle à la libération de Gaza. Le lendemain, rebelote. Les militants répondent à l’appel au “soulèvement”, lancé par Rima Hassan sur X (anciennement Twitter) vendredi matin. Sans surprise, la venue de la candidate Insoumise aux européennes mobilise. Sous l’œil des caméras, des centaines de jeunes rejoignent le sit-in.
Mais à l’issue de ces deux journées de fortes tensions, une image retient tout particulièrement l’attention : une photographie sur laquelle des jeunes lèvent leurs mains, couvertes de peinture rouge. Rapidement, le cliché amateur est repris, partagé, commenté. Des milliers de comptes diffusent un montage qui superpose la photo capturée aux abords de la faculté parisienne avec une autre, prise à Ramallah le 12 octobre 2000 qui montre un individu levant au ciel ses mains rouges. Mais à la différence des étudiants parisiens, ses mains ne sont pas recouvertes de peinture rouge, mais bien de sang. Celui des deux réservistes israéliens qu’il vient d’assassiner, et dont il jettera les corps quelques minutes plus tard à la foule. En fin de journée, vendredi, alors que les militants bloquent toujours l’établissement, la députée Renaissance Maud Bregeon dénonce sur BFMTV des “slogans et des symboles qui flirt (ent) avec l’antisionisme et l’antisémitisme”.
Symbole universel ou référence antisioniste ?
Le lendemain, la polémique ne désenfle pas. Sur son compte X, Raphaël Enthoven publie un message “à l’attention des incultes”. Pour le philosophe, le symbole des mains rouges est tout sauf un appel au cessez-le-feu. Il s’agit d’une “référence directe au massacre de deux Israéliens par la population de Ramallah”, martèle-t-il. Et de joindre à sa publication un dessin de Joann Sfar qui raconte la journée sanglante du 12 octobre 2000. “Deux Israéliens furent massacrés à mains nues par la population de Ramallah. Les corps de Yosef Avrahami et de Vadim Norznich seront démembrés, pendus et brûlés. Avant d’être traînés dans la joie jusqu’au centre de la ville. Leurs bourreaux téléphonèrent en riant à leurs parents”, rappelle l’illustrateur niçois et auteur de nombreuses bandes dessinées, qui confirme : “Arborer ce symbole aujourd’hui, c’est un appel au massacre.”
Récapitulons.
Dans l’affaire des mains ensanglantées à Sciences-po,
il y a :
1) Les ignares qui ne savent pas qu’en montrant leurs mains rougies, ils font référence à l’éviscération de deux Israéliens en 2000 à Ramallah. On les comprend, ils n’étaient pas nés.
2) Les… pic.twitter.com/nN2ElaynKy— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) April 28, 2024
Séance tenante, militants propalestiniens et cadres Insoumis répliquent, niant toute référence avec le massacre du 12 octobre 2000. Pour se défendre, les intéressés ne sont pas à court d’arguments. Le premier d’entre eux consiste à soutenir qu’il s’agit d’une allégorie universelle dénonçant ceux dont “les mains sont couvertes de sang”. “Ce symbole est régulièrement utilisé dans les manifestations en Occident, et à l’ONU”, argue auprès de L’Express, Hubert Launois, étudiant à Sciences Po Paris et membre du Comité Palestine.
Plusieurs comptes de soutien font notamment référence à d’autres mouvements qui ont utilisé le symbole des “mains rouges”. Les manifestations Black Lives Matter par exemple, ou encore le collectif Les Amis de la Terre en février 2022. Le 31 octobre dernier, Rima Hassan a publié une photo qui selon elle, “fera date”. Celle d’une audition au Congrès concernant l’aide américaine à Israël trois semaines après le massacre du 7 octobre. En arrière-plan, des manifestants lèvent les mains couvertes de peinture rouge. Façon de “dénoncer le génocide en cours à Gaza”, écrit alors la militante d’origine palestinienne. Une publication qui n’avait, à l’époque, provoqué aucun soubresaut.
Cette photo fera date. Lors d’une audition concernant la demande de subvention supplémentaire à Israël au Sénat américain des manifestants lèvent les mains couvertes de peinture rouge pour dénoncer le génocide en cours à Gaza. pic.twitter.com/G2NTkxzcW0
— Rima Hassan (@RimaHas) October 31, 2023
Ce qui nous conduit ainsi au deuxième argument : des familles israéliennes ont elles aussi eu recours à ce symbole à l’occasion des 200 jours de captivité des otages. “Ce qu’il y a sous vos cheveux s’appelle un cerveau et c’est fait pour être utilisé”, tance le responsable de la France insoumise Manuel Bompard sous la publication de Pernelle Richardot. La députée européenne du PS a été une des premières à voir dans la séquence du 26 avril une référence au massacre commis à Ramallah 24 ans plus tôt.
Ignorance ou antisémitisme ?
Le troisième argument, consiste à plaider l’ignorance. Les militants présents à la manifestation, pour beaucoup nés au 21e siècle, n’auraient pas eu vent des assassinats du 12 octobre 2000. À L’Express, Hubert Launois l’assure : “Ce n’est pas une image qui parle à notre génération, nous avions seulement la référence des mains rouges utilisées dans des dizaines de manifestations”. L’étudiant dénonce notamment “l’instrumentalisation” de la part du camp pro-israélien. “On prête des intentions antisémites derrière un symbole connu, ça fait partie de la dynamique de criminalisation de l’action des militants qui s’engagent en faveur des Palestiniens”, estime Hubert Launois.
Mais sur son compte Instagram, Joann Sfarr persiste et signe : “Les mains rouges sont un dogwhistle (appel du pied, NDLR) […] si vous l’utilisez, consciemment ou pas, vous n’appelez pas à la paix, mais au pogrom”. De son côté, Raphaël Enthoven étrille “les manipulateurs qui connaissent parfaitement la référence, dont le but est de produire des images ambiguës”.
Plus largement, c’est le caractère propalestinien de la mobilisation qui interroge sur le choix du symbole. Arborer des mains rouges dans une manifestation visant à dénoncer les féminicides n’aurait ainsi pas la même portée que dans une manifestation en lien avec le conflit israélo-palestinien. “Je ne connais pas un seul israélien ou palestinien qui face à ces mains rouges ne pense pas au lynchage de 2000”, souligne notamment Joann Sfarr.
Symbole universel pour les uns. Incitation au massacre pour d’autres. Cette polémique conduit à s’interroger. Arborer un emblème sans en connaître la signification relève-t-il de la simple maladresse ou représente-il une formidable opportunité de jouer sur l’ambiguïté ? Sur les réseaux sociaux, sur les plateaux télévisés, dans les studios de radio, deux camps s’affrontent depuis vendredi. Les deux mêmes qui se font face et se combattent depuis le 7 octobre 2023.
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