Antoine Buéno : “L’écologie a été confisquée par l’idéologie anticapitaliste”


C’est un manifeste pour une “autre écologie”, plus rationnelle et moins idéologisée. Dans l’indispensable Faut-il une dictature verte ?* (Flammarion), l’essayiste prospectiviste Antoine Buéno explique en quoi la démocratie et le libéralisme sont les meilleurs outils pour mener la transition écologique, à condition de responsabiliser les citoyens quant aux décisions forcément impopulaires qu’il faudra prendre, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique.

Dans un entretien accordé à L’Express, Antoine Buéno s’alarme du fait que l’écologie se retrouve aujourd’hui confisquée par l’anticapitalisme. “On se sert de l’enjeu écologique pour promouvoir une société postcapitaliste, sans s’apercevoir ou vouloir avouer qu’elle serait nécessairement autoritaire”, assure-t-il. L’idéologie qu’il nomme “collapso-décroissanciste”, portée par des figures médiatiques, serait encore “plus radicale, dangereuse et pernicieuse” que le communisme. “Dans l’univers de Mad Max, on ne fait pas des potagers bio et on ne roule pas à l’électrique. En revanche, on crame tout ce qui reste de pétrole, et on se balance des bombes atomiques”, souligne-t-il. Ce chargé de mission sur le développement durable au Sénat plaide pour amender le capitalisme en le rendant plus vertueux sur le plan écologique en faisant appel à des outils du marché – taxe carbone, compte carbone individuel –, à la redistribution et à la démocratie directe.

L’Express : Vous mettez en garde dans votre livre contre le mirage d’une “dictature verte”. L’antilibéralisme est-il en train de gagner du terrain au sein du mouvement écologiste ?

Antoine Buéno : Notre modèle de société, qui est démocratique, libéral et capitaliste, est en danger de mort, au moins en France. Pourtant, de sa survie dépend notre capacité de mener à bien la transition environnementale. J’ai longtemps pensé que la question environnementale était principalement technique, tout en nécessitant évidemment du volontarisme politique. Mais je m’aperçois qu’elle fait l’objet d’une guerre 100 % politique, parce que l’écologie a été confisquée par l’idéologie anticapitaliste. Or cette idéologie représente à la fois un péril pour l’humanité, car elle nous conduirait à un vrai effondrement du niveau de vie, mais aussi pour la planète, car cette idéologie ne peut pas non plus la sauver.

Le problème, c’est que le discours écologiste dominant n’affiche pas ouvertement son antilibéralisme. C’est un discours de slogans qui semblent être de bon sens, du type : “Il n’y a pas de croissance infinie dans un monde aux ressources finies.” Mais, dans les faits, il s’agit d’une véritable pensée unique, d’un dogme qui a accaparé la question environnementale. On se sert de l’enjeu écologique pour promouvoir une société postcapitaliste, sans s’apercevoir ou vouloir avouer qu’elle serait nécessairement autoritaire.

Du fait de l’échec des expériences marxistes, la question environnementale serait-elle devenue le principal espoir des anticapitalistes ?

Leur unique espoir, oui. J’ai baptisé ce courant de pensée l’idéologie collapso-décroissanciste (ou “ICD”), car il est important de lui donner un nom. Dans mon précédent livre, j’ai essayé sérieusement d’examiner les théories collapsologues, en montrant que la collapsologie pointe des menaces réelles auxquelles il faut répondre. Je ne doute pas non plus de la sincérité idéaliste d’une figure comme Pablo Servigne. Sauf que cette sincérité idéaliste a accouché d’un monstre idéologique. En politique, on sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les communistes historiques ont véritablement souhaité le bien de l’humanité, mais les expériences communistes ont débouché sur les horreurs que l’on sait. Le même phénomène est en train de se reproduire avec l’environnement.

Sous couvert d’éveil écologique, on ouvre grand la porte à l’endoctrinement politique

N’exagérez-vous pas ?

Non. Les apôtres de l’ICD nous placent dans un piège dans lequel il n’y aurait que deux voies possibles : celle du collapse, c’est-à-dire l’effondrement et des milliards de morts, ou celle de la décroissance. Pas de troisième voie. Selon eux, le collapse représenterait le crash, et la décroissance un atterrissage forcé. Mais, en réalité, la décroissance aurait elle-même tout d’un crash, à la fois pour l’humanité et la planète.

Par rapport au communisme d’avant, il y a quand même plusieurs différences fondamentales qui font que cette idéologie est finalement beaucoup plus radicale, dangereuse et pernicieuse. La première, c’est que l’ICD est une idéologie qui avance masqué, sous couvert de défendre la planète et la justice sociale. Qui peut être contre tout cela ? Mais, en réalité, son aboutissement, conscient ou non, est la mise à bas du capitalisme. Parfois, cette vérité transpire. Aurélien Barrau a déclaré récemment que la pire chose qui pourrait arriver serait de trouver une énergie propre qui réglerait le problème du réchauffement climatique, car cela empêcherait la destruction du capitalisme. Au moins, c’est clair et honnête. Mais la majorité des apôtres de l’ICD tiennent des discours bien plus ambigus.

Et comme c’est une idéologie qui avance masquée, il n’y a pas de bataille ouverte. Les gourous de l’ICD ont tribune ouverte dans tous les médias. En revanche, gare à celui qui s’écarte un minium de ce dogme. Dans certains médias dits écologistes, comme Reporterre ou Blast, vous n’avez pas le droit de cité si vous déviez un minimum du collapso-décroissancisme. Mais, le plus grave, c’est que les gourous de l’ICD sont accueillis comme des rock stars dans tous les lieux où se fabriquent la pensée et les élites de demain. Même des endroits censés être des temples du libéralisme, comme les écoles de commerce ou d’ingénieurs, offrent des tribunes magnifiques aux tenants de l’ICD, avec de jeunes générations qui les adulent sans se rendre compte de la menace que leur discours représente.

Face à cela, le libéralisme demeure totalement apathique. Au contraire, même, il promeut ses bourreaux. Pourquoi ? Justement parce que cette idéologie avance masquée. Quand les PDG de grandes entreprises accueillent ces personnes prêchant la bonne parole décroissanciste, ils ne se rendent pas compte des conséquences qu’une décroissance aurait non seulement sur eux, mais sur l’ensemble de la société. Sous couvert d’éveil écologique, on ouvre grand la porte à l’endoctrinement politique. Il y a d’ailleurs parfois de la tartufferie chez certains apôtres de l’ICD qui sont soit salariés de boîtes du CAC 40, soit se font rémunérer par elles pour leur apprendre à se faire harakiri. C’est du suicide assisté. Et c’est quand même hallucinant d’hypocrisie et de contradiction.

Quelles autres différences voyez-vous avec le communisme ?

La décroissance est antiproductiviste, à l’inverse du communisme historique. Elle est structurellement fondée sur l’objectif d’un rationnement drastique. Les démocraties populaires et socialistes d’avant étaient au contraire très productivistes. Malgré cela, elles ne se sont pas illustrées par leur abondance. C’est un euphémisme… Alors imaginez ce que donnerait un système comparable, celui d’une économie planifiée, mais opposé à la productivité.

Dernière différence entre le communisme historique et l’ICD, cette dernière est encore plus radicale, car elle ne s’appuie plus sur une science molle qu’était le matérialisme historique marxiste, mais sur la Science tout court, avec un grand “S”. Les collapso-décroissancistes seraient les voix de la science physique, l’ordre social qu’ils prônent serait dicté par les lois de la thermodynamique. Alors que, bien sûr, les lois de la thermodynamique n’interdisent pas de faire des centrales nucléaires, des éoliennes, de l’irrigation de précision et du recyclage…

In fine, avec l’ICD, on atteint le stade ultime de l’anticapitalisme. Le communisme historique proclamait “le capitalisme, c’est l’aliénation”, l’ICD affirme aujourd’hui “le capitalisme, c’est la mort”. Difficile d’aller plus loin.

La pauvreté n’a rien d’une bonne nouvelle pour la planète

La décroissance, par nature, ne peut être qu’anticapitaliste. Mais serait-elle obligatoirement antidémocratique ?

Oui, car tout est lié. La décroissance, c’est un effondrement économique, mais aussi un effondrement politique et, finalement, un effondrement écologique. Reprenons. Sur le plan économique, la théorie de la décroissance prône une très forte réduction de l’économie des pays développés pour laisser les pays pauvres se développer. Tout est illusoire. Dans les pays riches, cela condamnerait toute possibilité d’épargne, d’investissement, d’enrichissement. Sans parler de la fuite des capitaux et des fortunes, qui serait immédiate, et du fait qu’un tel pays ne pourrait plus accéder aux investissements ou prêts internationaux… En effet, la rémunération du capital est liée à une perspective de croissance. Sans cette perspective, à terme, c’est le marché lui-même qui disparaît. Car, si nous avons aujourd’hui un marché, c’est parce que des personnes créent des entreprises en utilisant les capitaux épargnés ou investis, dans l’espoir d’un gain économique, un profit. Si on casse cette logique, on détruit l’existence même du marché.

Or, sans marché, il n’y a plus qu’un seul moyen d’allocation des ressources : la planification. C’est ce qui a été expérimenté dans les pays de l’Est après 1917, et on sait que cela n’a pas fonctionné. C’est l’effondrement économique assuré. Qui ne serait pas non plus une bonne nouvelle pour les pays du Sud. Car, quand le Nord tousse, le Sud s’enrhume. Les pays en développement ont besoin de la santé économique du Nord, qui se traduit par des investissements et du commerce international, pour assurer leur croissance. Evidemment, pas non plus de redistribution Nord-Sud solidaire si l’économie du Nord s’est effondrée. Le programme décroissanciste ferait donc aussi plonger le Sud dans une trappe à pauvreté.

C’est ça que ne veulent pas voir ou afficher les tenants de cette idéologie. En supprimant la croissance, ils croient supprimer le surplus, la petite part de gâteau supplémentaire dont nous pourrions nous passer. Mais, en réalité, la croissance, c’est la dynamique qui détermine l’existence du gâteau tout entier. La croissance, ce n’est pas un peu plus de gâteau, c’est le gâteau lui-même, et la condition de la démocratie.

Certes, mais pourquoi la décroissance serait-elle, de surcroît, anti-écologique ?

Parce que l’effondrement induit par cette idéologie va justement conduire à une paupérisation généralisée. Or la pauvreté n’a rien d’une bonne nouvelle pour la planète. Un tiers de la déforestation des forêts tropicales est directement lié à la culture sur brûlis, pratiquée par des gens qui survivent dans la misère la plus totale grâce aux ressources de la forêt. Un monde en raréfaction sera aussi un monde plus violent, avec plus de guerres. Or il suffit de penser au napalm de la guerre au Vietnam pour réaliser le coût écologique des conflits. Et en plus, en s’effondrant, le monde perdrait le contrôle de ses grandes installations, comme les centrales nucléaires ou les usines de pétrochimie, augmentant les risques de catastrophes. Je vous rappelle que, dans l’univers de Mad Max, on ne fait pas des potagers bio et on ne roule pas à l’électrique. En revanche, on crame tout ce qui reste de pétrole et on se balance des bombes atomiques. C’est à ça que nous mènerait une véritable décroissance. On fait comme si on pouvait dissocier le sort de la nature et celui de l’humanité. Alors qu’un krach économique ne peut qu’avoir des conséquences écologiques catastrophiques.

Encore plus fondamentalement, si on détruit le marché, on détruit aussi la seule force capable de débloquer le verrou systémique qui bloque la transition écologique aujourd’hui. Schématiquement, il y a deux grands problèmes environnementaux : la question de la dégradation des ressources, en amont, et celle de la pollution et, en particulier, la pollution atmosphérique du gaz à effet de serre, en aval. Avec le paradigme de Hardin sur la tragédie des biens communs, on sait que si l’on ne donne pas un prix aux ressources, celles-ci sont surexploitées. Et en ce qui concerne la pollution, le paradigme de Pigou explique que si on veut réduire les externalités négatives des activités économiques, il faut les intégrer dans les coûts de production. Des deux côtés, la solution passe par le marché, à travers des taxes. Il y a bien sûr la taxe carbone, mais on peut aussi imaginer de faire payer l’eau ou certains métaux. Une taxe carbone permettrait en plus de bénéficier de ressources pour soutenir économiquement les alternatives décarbonées. D’autre part, au niveau individuel, un compte carbone personnel changerait la donne. Chacun pourrait gérer ce compte comme il gère un compte en banque. Certains décarboneront au quotidien pour vendre et monétiser leurs droits, d’autres achèteront à l’inverse des droits à polluer supplémentaires.

A l’échelle internationale, le libre-échange est la seule force qui permettra aux économies développées d’entraîner derrière elles le monde entier dans la transition. Les traités actuels permettraient de faire du libre-échange sous condition de réciprocité environnementale (comme sociale). On dispose d’un formidable outil. En contrepartie, on peut pratiquer un protectionnisme écologique dès lors qu’on n’a pas de contrepartie écologique. Par exemple, nous pourrions limiter nos importations de bœuf étranger, vu qu’on produit en France une viande bien plus vertueuse.

Casser la croissance, c’est en tout cas supprimer tous ces outils économiques. C’est-à-dire supprimer le seul levier capable de verdir universellement le monde, celui des prix. C’est par les prix que les consommateurs se détourneront en masse des biens et services polluants au profit de biens et services verts. Ce sont encore les prix qui incitent les producteurs à innover. Or ce sont bien là les deux jambes de la transition, le changement des comportements d’une part et, d’autre part, l’innovation. Il n’y aura en effet pas de transition sans innovation. Déjà, pas de décarbonation sans technologies ad hoc. En 2020, la pandémie a réduit le PIB de plus de 3 % et les émissions de gaz à effet de serre de 7 %. Partant de ces chiffres, pour arriver en 2050 à la neutralité carbone seulement en réduisant l’activité, il faudrait revenir au niveau de PIB par habitant qui était celui de 1870… La solution est non pas la décroissance, mais une croissance capable de nous donner les moyens techniques de la transition.

N’y a-t-il, aujourd’hui, pas assez d’écologistes médiatiques s’opposant à la décroissance ?

Très peu. En France, on peut citer Bertrand Piccard. Ou bien Véra Nikolski, qui rappelle que les femmes ont tout à perdre dans la décroissance. Ou encore des économistes comme Christian Gollier. Dans les pays anglo-saxons, les tenants du capitalisme vert sont plus nombreux, à l’image de Bill Gates, Al Gore ou Steven Pinker.

L’ICD est vraiment en train de gagner les esprits, en entretenant des confusions majeures. D’abord, elle confond sobriété et décroissance. Oui, il faudra de la sobriété, mais on ne pourra pas compter que sur la sobriété. Et il ne faudra surtout pas pousser la sobriété jusqu’au point où elle ferait basculer dans la décroissance, c’est-à-dire au point où elle condamnerait toute rémunération du capital et tout entrepreneuriat. De plus, quand on parle de sobriété, il faut aussi savoir de quoi on parle. La sobriété, dans les pays du Nord, ce sont des mesures de réduction de la consommation et de la production. Mais, pour ceux du Sud, c’est avant tout la sobriété démographique, avec l’accélération de la baisse des taux de fécondité, qui passe par la défense des droits des femmes, l’accès à la contraception et à l’éducation. Aujourd’hui, la Terre a 80 millions d’habitants supplémentaires chaque année, plus que la population de la France. Or le nombre de grossesses non désirées s’élève à 60 millions. Les réduire aiderait beaucoup pour l’avenir. Mais cette sobriété démographique dans les pays du Sud, aucun écologiste ne veut plus aujourd’hui en parler.

Par ailleurs, on confond souvent transformation du capitalisme et suppression du capitalisme. Il faut un autre capitalisme. Mais il faut aussi du capitalisme. Il faut que le capitalisme évolue pour devenir plus vertueux sur le plan écologique. Cela passera par un capitalisme plus social, démocratique, keynésien, interventionniste, celui que nous pratiquons en Europe. Pour moi, la transition écologique se fera d’ailleurs par l’extension du modèle européen à l’échelle de la planète. Mais ce n’est bien sûr pas la vision des écologistes anticapitalistes. Leur discours commence déjà à avoir des conséquences catastrophiques, avec de plus en plus de jeunes qui deviennent “objecteurs de croissance” et partent vivre dans des écovillages communautaires. Ce mouvement prive l’avenir de leur précieuse énergie pour mettre en œuvre la transition. Pour cette dernière, quand on est jeune, il vaut mieux devenir ingénieur nucléaire que d’aller faire un potager dans un éco-lieu. Et puis, à terme, le risque est de plus en plus grand de voir des tenants de cette idéologie accéder au pouvoir…

Ironiquement, la crise écologique pourrait être la chance de la démocratie

Vous défendez le modèle démocratique pour réaliser la transition écologique. Mais le pouvoir politique n’est-il pas bloqué par le court-termisme dicté par les élections ? Aujourd’hui, après les bonnets rouges ou les gilets jaunes, l’exécutif semble obsédé par une nouvelle révolte populaire liée à la crise du logement, accentuée par la rénovation énergétique comme par l’objectif du “zéro artificialisation nette” [ZAN]…

Du point de vue de la puissance publique, il y a trois leviers pour accélérer la transition écologique. Le premier, c’est celui du prix à travers des taxes. Le deuxième, c’est le soutien économique des personnes les plus modestes et des filières vertes. Et, le troisième, c’est la réglementation, c’est-à-dire l’interdiction et les obligations. Une approche non idéologique de la transition s’ingénierait à actionner ces leviers en fonction de leur efficacité au regard des objectifs à atteindre. Par exemple, la taxe carbone est indispensable pour limiter les émissions de CO₂, mais sera inutile pour stopper la déforestation, car cela requiert une réglementation internationale. La préférence américaine, pour des raisons politiques et idéologiques, ce sont les aides. En France, on préfère le règlement. Mais, pour l’instant, le premier levier, celui du prix, est délaissé par tous.

Sur le plan politique, comment faire accepter ces décisions rationnelles ? D’abord, par la justice sociale. Il ne peut y avoir de transition écologique sans un soutien massif aux personnes les plus fragiles et directement impactées par les mesures, comme l’a rappelé la crise des gilets jaunes. C’est cette redistribution sociale que les taxes écologiques (comme la taxe carbone) sont censées financer. Ensuite, il nous faut passer à la démocratie directe. Car la démocratie représentative n’est pas le meilleur système institutionnel pour mettre en œuvre la transition. Primo, elle est faite pour dégager des consensus. Mais, comme l’écrit très justement François Gemenne, “l’écologie n’est pas un consensus”. S’il faut arriver à la neutralité carbone, on ne peut pas couper la poire en deux et dire, pour satisfaire tout le monde, qu’on ne réduit nos émissions que de 50 %. Par ailleurs, le système électoral est par nature court-termiste, alors qu’un plan écologique s’inscrit dans le temps long. De plus, la représentation favorise les intérêts du corps électoral. Or les premières victimes du réchauffement climatique n’y figurent pas. Ni les forêts primaires, ni les populations tropicales, ni les générations futures ne votent en Europe ou aux Etats-Unis…

Enfin, la transition est un tissu de contraintes. Et, par définition, les élus ont du mal à prendre des décisions impopulaires, même quand elles s’imposent. Churchill avait promis “du sang et des larmes”. Il a tenu parole. Et même s’il a gagné la guerre, il a perdu les élections. En revanche, les gens sont adultes. Ce ne sont pas des enfants. Ils peuvent prendre directement des décisions responsables. C’est déjà ce qu’écrivait Hans Jonas dans Le Principe responsabilité. La convention citoyenne pour le climat a prouvé qu’il avait raison, que des personnes au départ pas forcément sensibles à l’écologie mais placées en situation de responsabilité agissent de manière tout à fait différente. On pourrait ainsi créer une convention citoyenne permanente. Des experts et économistes de l’environnement, qui, par exemple, dégagent un consensus sur l’utilité de la taxe ou du compte carbone, leur présenteraient les solutions possibles. Les membres de la convention valideraient les mesures, puis on soumettrait celles-ci à l’ensemble de la population via un référendum à choix multiple. Cela permettrait d’échapper au piège classique du référendum, à savoir répondre par oui ou par non à la personne qui pose la question plutôt qu’à la question elle-même.

Pensez-vous aussi, comme Francis Fukuyama et Bruno Le Maire, que cette transition écologique pourrait être une opportunité pour les démocraties libérales de démontrer la supériorité de leur modèle face aux régimes autoritaires ?

Oui, si elles savent se moderniser en faisant passer l’écologie dans le champ de la démocratie directe. D’autant plus qu’il n’y a rien à attendre des dictatures sur le plan écologique. Quand on compare l’Environnemental Performance Index [EPI] de l’université Yale et le Democracy Index [DI], on constate que les dictatures actuelles n’ont rien de vert. Aucun régime autoritaire ne figure dans les 30 premières places de l’EPI. La Chine se place dans les 20 pays les plus autoritaires du monde, et aussi dans les 20 pays avec les scores environnementaux les plus faibles. Ne faudrait-il pas pour autant mettre en place des dictatures spécifiquement vertes ? Pas davantage. La transition n’impose aucunement une remise en question de l’Etat de droit. L’immense majorité des droits et libertés n’ont rien à voir avec l’écologie. Et les droits et libertés qui seront atteints par la transition, comme le droit de propriété ou la liberté d’aller et venir, ne seront restreints que de manière très relative et sans doute temporaire dans l’attente d’alternatives, par exemple décarbonées. De plus, la transition n’impose pas non plus obligatoirement un régime de surveillance et de sanctions. La politique du “zéro Covid” pratiquée par le régime de Xi Jinping a montré que les méthodes autoritaires ne fonctionnaient pas au-delà du court terme. A long terme, l’équité et la responsabilité sont bien plus efficaces.

Pour la première fois depuis deux mille cinq cents ans, la démocratie directe est redevenue possible grâce au numérique. Mais les pays dits démocratiques ne s’en sont pas emparés pour devenir plus démocratiques contrairement, par exemple, à la dictature chinoise, qui les exploite pour renforcer sa mainmise sur la société. L’impératif de la transition écologique devrait nous y pousser. Le changement pourrait venir des élus eux-mêmes, qui comprennent de plus en plus vivement qu’ils n’ont pas intérêt à conserver cette compétence. Ironiquement, la crise écologique pourrait être la chance de la démocratie.

* Faut-il une dictature verte ? La démocratie au secours de la planète, par Antoine Buéno. Flammarion, 343 p., 21 €.




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