A l’issue des concours d’enseignants pour l’année 2023, près de 3 100 postes n’ont pas été pourvus : 1 300 dans les écoles maternelles et élémentaires, 1 800 dans les collèges et les lycées. Chacun sait aussi que les hôpitaux se vident de leurs infirmières et aides-soignantes. Dans ces deux cas, les causes sont identifiées : des rémunérations trop faibles par rapport au privé – un problème de “valorisation financière” – et une quasi-absence de reconnaissance sociale et de gestion des ressources humaines – un manque de “valorisation symbolique”.
Contraintes légales et épuisement professionnel
Ce syndrome de “double sous-valorisation” n’affecte pas que l’éducation nationale et la santé publique, loin de là. C’est un phénomène qui a largement envahi le monde politique et qui risque de coûter très cher à notre pays, lequel a plus que jamais besoin d’élus compétents et engagés. La valorisation financière de nos élus et ministres n’est pas mirifique. Les indemnités des maires s’échelonnent d’un peu plus de 1 000 euros bruts pour les communes de moins de 500 habitants à 5 800 euros pour les plus grandes villes. Les présidents des conseils départementaux reçoivent un peu plus de 5 600 euros bruts par mois, comme les présidents des régions. Nos députés perçoivent un peu plus de 7 200 euros bruts par mois. Les secrétaires d’Etat et les ministres reçoivent 10 600 euros par mois, le Premier ministre et le président de la République, 15 900 euros.
Ces rémunérations peuvent sembler confortables au regard du salaire moyen des Français, surtout quand elles sont assorties d’avantages en nature comme un logement et une voiture. Il faut néanmoins les comparer à ce que les intéressés pourraient percevoir dans le privé. L’analogie joue sans l’ombre d’un doute en défaveur des charges publiques. En théorie, les maires et les députés peuvent conserver une activité professionnelle. Mais dans la pratique, les contraintes légales et le caractère absorbant de leur fonction empêchent le plus souvent un tel cumul. Bien sûr, celles et ceux qui ont bien gagné leur vie auparavant ont épargné, disposent d’un patrimoine et peuvent réduire leur rémunération le temps de leur engagement public. Mais il faut aussi penser à l’après. Or, les membres sortants d’un gouvernement peuvent se voir interdire par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, et ce pendant trois ans, une activité rémunérée s’il est considéré qu’elle permet à des intérêts privés de profiter des connaissances détenues par l’ex-ministre ou secrétaire d’Etat.
L’épouvantail “populiste”
L’aspect financier n’épuise pas le sujet : la valorisation symbolique est un enjeu central. Prendre un mandat, c’est se retrouver potentiellement sous les insultes, les menaces, les enquêtes d’une presse parfois à charge et le risque judiciaire. Personne n’ose évoquer cette problématique dans notre pays, pour ne pas être taxé de “populiste”. Il faut passer outre. Un nombre important de responsables publics sont mis en examen, d’Eric Dupond-Moretti à Olivier Dussopt, en passant par Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée.
De deux choses l’une. Soit la classe politique est coupable d’une immoralité qu’elle ne partage pas avec le reste de la population – ce n’est pas ce que j’observe. Soit la loi est devenue tellement sévère qu’il devient difficile d’exercer des responsabilités sans passer par la case justice. Laquelle justice, comme toute institution humaine, peut d’ailleurs se tromper : Agnès Buzyn avait été mise en examen, en septembre 2021, pour “mise en danger de la vie d’autrui” dans sa gestion du Covid lorsqu’elle était ministre de la Santé, avant que la Cour de cassation n’annule cette décision délirante.
Le prix du courage et de la compétence
Le rapport entre ces considérations sur le statut des responsables et la conduite des politiques publiques dans notre pays est le suivant : on ne mènera pas la grande et audacieuse réforme de la sphère publique dont la France a besoin sans des ministres expérimentés, des parlementaires affûtés, des maires décidés. Or, la compétence et le courage se paient. C’est la raison pour laquelle nous devrions, dans l’intérêt général, augmenter la rémunération des élus, dépénaliser un certain nombre de délits et même, pourquoi pas, supprimer le parquet national financier. Un programme résolument anti-démagogique, qui serait un bon investissement pour la nation.
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