C’est la petite musique qui monte ces derniers mois dans les cercles d’économistes. Et si la Banque centrale européenne décidait de faire une croix sur son objectif d’une inflation à 2 % ? Ce jeudi 14 septembre, à Francfort, l’incertitude risque d’être plus forte que jamais au moment où le conseil des gouverneurs va se réunir. Bien malin sera celui qui affirmera sans sourciller qu’une nouvelle hausse des taux sera actée. Elle serait alors la dixième d’affilée depuis juillet 2022.
Il faut dire que l’inflation a la peau dure. En août, la hausse des prix dans la zone euro s’est stabilisée à 5,3 % sur un an, comme en juillet, après 5,5 % en juin. La BCE pourrait être tentée d’imiter son homologue américaine, qui a marqué une première pause en juin dernier, avant de procéder un mois plus tard à sa onzième hausse des taux en l’espace d’un an. Elle fait face à un dilemme. D’un côté, la pression inflationniste reste élevée et continue de peser sur les ménages. De l’autre, l’épouvantail de la récession dans l’Union européenne se matérialise. “Le risque d’en faire trop est de provoquer une récession, c’est très coûteux à la fois économiquement et humainement. Le risque de ne pas en faire assez est que l’inflation dure un peu entre 4 % et 5 %. Entre les deux, le danger de récession me paraît plus fort”, juge Olivier Blanchard, ex-chef économiste du Fonds monétaire international, qui milite pour relever l’objectif d’inflation à 3 %.
L’Allemagne en récession en 2023 ?
Mais depuis le dernier conciliabule des gouverneurs, la donne a changé. La Commission européenne a publié, le 11 septembre, ses nouvelles prévisions économiques pour l’année 2023 : Bruxelles prévoit une récession en Allemagne sur l’ensemble de l’année. Un coup dur pour la première puissance économique européenne. “Les débats vont être intenses au sein du conseil des gouverneurs. Il y a un autre élément à prendre en compte : la position de la présidente de la BCE n’est pas du tout celle de Mario Draghi, son prédécesseur. Ce dernier avait un leadership économique. Christine Lagarde, elle, est beaucoup plus sensible à ce que peuvent exiger les Allemands ou les Hollandais. C’est un point de faiblesse à prendre en compte lorsqu’on analyse les décisions qui vont être prises”, souligne l’économiste Christian Saint-Etienne.
Dans l’hypothèse où la BCE opte pour un nouveau relèvement de ses taux, les experts s’attendent à un tour de vis de seulement de 0,25 point. “Le risque serait qu’elle veuille être plus royaliste que le roi. Le ralentissement de l’économie européenne est tel qu’il est de nature à calmer les velléités de hausses trop fortes. Aller plus loin que 0,25, c’est risquer de plonger en récession”, estime Christian Saint-Etienne.
La crédibilité de la BCE en jeu
L’institution monétaire y joue aussi sa crédibilité. “Si la BCE dit : on est à 4 %, on va arrêter à 3 %, alors qu’elle visait 2 %, cela la remet en cause”, considère Olivier Blanchard. Pour Eric Monnet, prix du jeune économiste 2022 et directeur d’étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, “la BCE a surtout du mal à s’engager sur un horizon. Il y a une différence entre dire que l’on va revenir à 2 % d’inflation dans les 2-3 ans et dire que l’on va pouvoir s’acclimater de 3-4 %. En termes de communication, cela pourrait gagner à être clarifié. La BCE est toujours dans l’optique d’un rattrapage, car elle a commencé à réagir un peu tard. Elle veut montrer que c’est elle qui s’attaque au problème del’inflation”.
Il n’existe en réalité aucun fondement théorique qui permet de justifier cet objectif fixé à 2 %. “Quand elle a été créée, la BCE a reçu comme mandat par le traité de Maastricht d’assurer la stabilité des prix. Elle a alors elle-même décidé que la stabilité se situait à 2 % de hausse. Il y a des débats théoriques depuis longtemps pour savoir si c’est justifié. Cela ne résulte d’aucune règle divine”, explique Christian Saint-Etienne qui défend lui un objectif de “2 % d’inflation plus ou moins 1”.
Ces calculs d’équilibriste ont en réalité un impact psychologique, sur la perception des prix par les Européens. “Les études ont montré qu’à 4 %, les consommateurs et les entreprises commencent à penser à l’inflation et cela modifie leurs comportements. A 3 %, ils semblent y penser peu, et réagissent moins aux variations temporaires de l’inflation. Cela simplifie le travail des banques centrales”, détaille Olivier Blanchard. Charge maintenant à Christine Lagarde d’annoncer la nouvelle qui ne pourra jamais satisfaire tout le monde.
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