Une blouse. Peut-être un pantalon et une chemise. Ou un jean et un tee-shirt, pour les plus modernes. Avec ou sans distinction entre les filles et les garçons. Pour résoudre les atteintes à la laïcité à l’école, faut-il imposer le port de l’uniforme, éternelle rengaine politique et médiatique de la rentrée, comme le demandent certains enseignants et représentants politiques ? Après avoir interdit l’abaya, cette longue robe traditionnelle que certaines jeunes filles portent comme une tenue religieuse, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, s’est récemment dit favorable à “l’expérimentation” de l’uniforme, déjà en œuvre dans des écoles, des collèges et des lycées de Guadeloupe, de Guyane ou de Nouvelle-Calédonie.
L’idée du ministre : faire des tests dans quelques établissements pour mesurer l’utilité d’imposer une tenue unique dans les salles de classe. Et ainsi tenter d’éclairer les discussions récurrentes à ce sujet, qui divisent jusqu’au sein même de la majorité. A peine énoncée, la proposition a fait des enthousiastes : les présidents des départements des Alpes-Maritimes et des Bouches-du-Rhône se sont portés volontaires, convaincus des bienfaits potentiels dans leurs collèges, alors que, sur l’ensemble du territoire, 298 élèves, sur les 12 millions faisant leur rentrée, ont été réprimandées car elles portaient l’abaya. Les modalités de l’expérimentation devraient être annoncées “à l’automne”, a indiqué Gabriel Attal.
Ces tests donneront probablement des indications sur le degré d’acceptation de la mesure, et aideront à savoir si elle est facile à adopter. Il faudra notamment désigner qui financera l’achat des vêtements recommandés. Mais ces expérimentations risquent de se révéler peu concluantes pour mesurer un quelconque apport au-delà d’une simplification et d’une clarification des règles vestimentaires à l’école. Si l’uniforme scolaire est parfois érigé en outil phare pour résoudre certaines problématiques, de la laïcité à l’intégration, en passant par l’ambiance en classe et la réussite des élèves, jusqu’à présent aucune étude n’a permis de trancher. “En réalité, les recherches ne sont pas suffisamment probantes sur la question. Ainsi, rien ne laisse à penser qu’il y ait un effet sur l’apprentissage ou sur le comportement”, souligne notre chroniqueur Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du développement cognitif.
Les Etats-Unis s’y mettent, sans résultat
En 2021, le think tank britannique Education Endowment Foundation (EEF), source de référence en sciences de l’éducation, a bien tenté de condenser les travaux réalisés sur le sujet. Seulement sept articles scientifiques présentaient alors une méthodologie suffisamment rigoureuse pour être susceptible d’apporter des enseignements. Un nombre insuffisant pour conclure, d’autant que les tenues scolaires sont des objets d’étude complexes : “Les uniformes viennent souvent accompagnés d’autres mesures, ce qui rend l’évaluation de leurs effets potentiels particulièrement difficile”, détaille l’organisation dans un avis.
En 2022, une nouvelle étude s’est toutefois penchée spécifiquement sur la question aux Etats-Unis. Car, là-bas, l’uniforme revient en grâce. Dans les écoles publiques, 20 % des enfants le portent, ils n’étaient que 3 % environ en 1995. Et 6 écoles privées sur 10 l’ont rendu obligatoire. Mais, là encore, aucun effet visible. “Les élèves en uniforme n’ont pas démontré de meilleures compétences sociales, moins de repli sur eux-mêmes, ou une meilleure fréquentation scolaire que les autres”, conclut l’article paru dans la revue Early Childhood Research Quarterly, qui portait sur 6 320 élèves de la maternelle à la fin de la primaire.
En Europe, seuls deux pays, Malte et Chypre, imposent l’uniforme dans leurs établissements scolaires, avec des objectifs très divers. Contrairement aux idées reçues, il n’est pas obligatoire au Royaume-Uni, souvent cité en exemple, même si, dans les faits, 90 % des établissements l’exigent. Et dans les écoles britanniques, il est possible de venir en classe en arborant un voile, une croix ou une kippa. Le modèle de nos voisins d’outre-Manche ne dit donc pas grand-chose de l’utilité de la mesure si on l’applique pour sauvegarder la laïcité – notion dont la France a par ailleurs une conception très spécifique, ce qui complique les comparaisons internationales.
Une tradition en Asie et en Afrique
Malgré le peu d’indications à ce sujet, le port de l’uniforme est en revanche courant dans d’autres parties du monde, en Asie (Japon, Corée du Sud et du Nord, Chine…), dans les anciennes colonies britanniques (Hongkong, Inde…), en Afrique et en Amérique latine. Mais la proportion des élèves qui le portent varie tout de même fortement d’un pays à l’autre et les règles diffèrent : imposition totale (comme en Russie), partielle (régionale, seulement dans le public ou le privé), ou simple tradition encore bien ancrée. Mais, là encore, difficile d’extrapoler son utilité dans le contexte français.
Si un effet existe, il n’est pas visible à travers la loupe scientifique : “Certains pays croient que l’uniforme scolaire soutient le développement d’une philosophie scolaire globale et qu’il aide à la discipline et la motivation. Certains pensent également qu’un uniforme favorise l’équité sociale. Cependant, il existe peu de preuves solides que l’introduction d’un uniforme scolaire puisse en tant que tel améliorer les résultats, le comportement ou l’assiduité des élèves”, note l’EEF. “Pas sûr que ce soit une solution miracle”, a d’ailleurs reconnu Gabriel Attal lui-même.
Pour éclairer les choix qui s’offrent à l’Education nationale, le ministère est doté d’un conseil scientifique, dont fait partie Franck Ramus. Selon le chercheur, l’instance n’a pas été saisie sur cette question. Ni sur la thématique plus large des outils susceptibles d’améliorer le vivre-ensemble ou le comportement des élèves. Pourtant, des consensus scientifiques existent. Après avoir passé 89 articles de psychologie de l’éducation en revue, l’EEF a édité une série de recommandations à destination des enseignants. Par exemple, “renforcer les comportements positifs” plutôt que se concentrer sur les sanctions, ou encore “enseigner les techniques pour apprendre”, et pas seulement ce qu’il y a à apprendre.
Le think tank défend notamment une meilleure formation des enseignants à la psychologie de l’éducation et à la gestion de classe, et le développement des moyens d’appliquer les diverses techniques reconnues comme opérationnelles. Une solution qui n’a pas émergé dans le débat public hexagonal jusqu’à présent, au grand regret de Franck Ramus, qui forme des enseignants à ces techniques, en partenariat avec l’Ecole normale supérieure-PSL et le réseau Canopé. “La première question avant de lancer quelque chose devrait toujours être : est-ce qu’il y a de la recherche, est-ce que ça marche ?” estime le chercheur.
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